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que la perception des sens ne le mettra jamais en contradiction avec lui-même et (ce qu’il n’ajoute — peut-être instruit par l’expérience — que dans une édition postérieure) ne le mettra pas en conflit avec l’Église. En revanche, Aristote contredit à la fois l’expérience, sa propre opinion et l’Église !

Le trait le plus significatif de la philosophie de la nature de Telesio, c’est la tendance à mettre la relation de matière à force à la place de la relation de matière à forme, qui réapparaît toujours chez Aristote. La caractéristique de la conception esthétique de la nature dans l’antiquité était de trouver l’explication des phénomènes naturels dans les formes sous lesquelles ils se manifestent ; les phénomènes naturels se comprenaient au moyen des résultats définitifs qu’ils produisaient. La conception nouvelle de la nature remonte plus haut ; elle recherche les forces actives. D’après Telesio ces forces (principia agentia) sont de deux sortes : une force de dilatation, qu’il nomme chaleur, et une force de contraction qu’il nomme froid. La chaleur et le froid ne sont donc pas pour lui des matières ou des qualités pures et simples ; ce sont des forces qui se manifestent par deux sortes différentes de mouvement. Il n’était donc pas loin de la pensée de Telesio de concevoir tout ce qui se passe dans la nature comme mouvement. Ces deux forces agissent sur la matière, qui n’augmente et ne diminue jamais, mais qui prend sous leur influence des formes extrêmement différentes selon les rapports de contraction et de dilatation, et qui est partout uniforme, sans qu’il soit possible d’établir une différence entre le matière céleste et la matière terrestre.

En outre il prend catégoriquement parti contre Aristote en enseignant que l’espace est chose différente de la matière, ce qui porta le coup de grâce à la théorie d’Aristote sur les lieux naturels des divers éléments. Il doit même y avoir nécessairement un espace absolument vide ; c’est une illusion toute pure d’Aristote que de croire que la nature a horreur du vide. La théorie des éléments d’Aristote ne tombait pas seulement par cela même que les « lieux naturels » disparaissaient, mais parce qu’il ne restait plus que la masse (moles) une et indestructible, laquelle prend différentes formes, selon les rapports différents de dilatation et de contraction. S’il fallait admettre