Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rieur de la pensée, ce fut aussi du monde de l’expérience extérieure que partirent de grands mouvements précurseurs. Au xvie siècle l’expérience commença à devenir le mot d’ordre. On ne veut plus lire de vieux livres, mais le livre éternellement jeune de la nature. Ce besoin se manifeste au début naturellement sous une forme peu claire, mais d’autant plus passionnée. On voulait faire jaillir de terre l’abondance qui manquait aux livres, tout en n’ayant pas l’esprit assez analytique pour dégager les vraies expériences et pour écarter ses inspirations mystiques ou ses idées favorites. Comme représentants de ce désir titanesque de connaissance expérimentale et naturelle, on peut citer le médecin et chimiste allemand Paracelse, et le médecin et mathématicien italien Cardan, qui tous deux furent le jouet du destin et qui, outre des idées de génie dans le domaine de leurs spécialités, ont émis aussi des idées philosophiques. En plusieurs points, ils combattirent la conception de la nature d’Aristote, surtout la théorie des quatre éléments ; ils prirent le contrepied du dualisme, imaginé par Aristote et admis par le Moyen Âge, d’un monde céleste et d’un monde sublunaire, affirmant l’unité des différentes parties de l’univers relativement aux matières et aux forces. Bien qu’ils se soient eux-mêmes regardés comme des pionniers, principalement au point de vue de la méthode, leur investigation n’est pas, tant s’en faut, scientifique ni méthodique. Ils ne connaissent pas encore les exigences rigoureuses à observer dans l’application de la méthode de la science de la nature, qui furent inculquées à l’esprit par Léonard de Vinci, Galilée et Bacon16. Leurs idées ne se coordonnent pas non plus en un tout facile à embrasser du regard, comme nous en trouvons — malgré tous les vices de méthode — chez Bernardino Telesio, que nous regarderons pour cette raison comme le représentant de la philosophie appuyée sur l’expérience qui précède la fondation de la science moderne de la nature, mais qui s’est déjà affranchie de la conception d’Aristote et du Moyen Âge.

Avec Telesio nous foulons le sol de l’Italie méridionale qui produisit tant de penseurs dans l’antiquité et qui était destinée à reconquérir cette renommée dans l’ère de la Renaissance. Ce fut la patrie d’un Telesio, d’un Giordano Bruno, et d’un Cam-