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plicatio, connexus) des contraires est à leur apparition séparée dans l’espace et dans le temps. La nature est le déroulement (explicatio, evolutio) de ce qui dans la divinité était rassemblé en une unité entière, de même que la ligne est le développement du point (par un déplacement répété) et que la réalité est le développement de la possibilité. Mais comment s’opère cette conversion de forme complicative en forme explicative, — comment la coïncidence absolue des contraires est remplacée par leur apparition comme puissances adverses, — comment la confusion de la diversité remplace l’unité de l’harmonie — c’est là une énigme que ne peut résoudre notre pensée. Toute existence finie est une limitation, et c’est justement la grande énigme que de savoir comment l’infini peut lui-même se limiter. De Cusa dit quelque part qu’il n’y a pas de cause positive à la multiplicité, l’unité des choses pouvant seule venir de Dieu. Si pour expliquer la formation de la multiplicité tu t’autorises de Dieu, cela veut dire que tu ne la comprends pas !13

De Cusa finit ainsi lui aussi dans le dualisme ; et en effet un large abîme s’ouvre entre sa connaissance de Dieu et sa connaissance de la nature. Il a cependant exprimé des points de vue féconds, qui devancent les pensées de philosophes ultérieurs, en émettant l’idée du mouvement comme principe qui fonde l’unité de la nature et qui fait du monde un tout, ainsi que l’idée de l’évolution du monde comme processus progressif de complication et d’explication14. Elles lui permirent de défendre l’originalité aux êtres individuels (en tant que complications ou contractions spéciales) ainsi que leur connexion et leur transition continues. Au lieu que pour l’antiquité et pour le Moyen Âge l’idéal était la réalité parfaite, l’importance des possibilités et de l’évolution commençait à prendre ses droits. C’était en rapports étroits avec le changement subi par la notion d’infini. L’importance qu’on avait attachée aux formes finies, nettement arrêtées, on l’attribuait maintenant aux variations infinies, aux transitions perpétuelles qui font ressortir les contraires comme les cas ou degrés extrêmes d’une échelle continue.

En matière de religion, de Cusa se heurta à une difficulté en refusant le droit d’appliquer un concept, quel qu’il soit, à