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à dépasser les oppositions et les contradictions révélées par l’expérience. À une analyse plus exacte, elle découvre que les oppositions les plus grandes, les états contradictoires entre eux reviennent au même, pourvu que l’on puisse démontrer leur point d’unité. C’est ainsi que le maximum et le minimum coïncident entre eux, au moyen de la notion de grandeur : tous deux sont des quantités absolues, chacun en son sens, tous deux sont des superlatifs sur une seule et même échelle. La notion de grandeur les comprend tous deux. Mais notre connaissance est impuissante à trouver tous les moyens termes de l’échelle. Elle reste toujours en suspens sur des contraires. Elle parvient à avancer de terme en terme, mais sans pouvoir atteindre l’unité parfaite des contraires, pas plus qu’on ne peut former un cercle parfait quelque nombreux que soient les côtés qu’on donne au polygone. Notre pensée est à la vérité, qui est l’unité parfaite des contraires, ce que le polygone est au cercle.

L’infini est la mesure et l’idéal du fini. En lui se concilient les contraires. Une courbe infinie est absolument la même chose qu’une ligne droite infinie. Mais toute ligne que nous concevons est ou droite ou courbe. Nous ne pouvons dépasser les définitions finies. Et pourtant il le faut, si l’on veut avoir une connaissance de Dieu. Dieu ne peut se penser qu’en supprimant toute détermination particulière : mais il ne nous reste plus rien quand toutes les déterminations particulières sont écartées. Voilà pourquoi Dieu unité de toutes choses, embrassant tout, même les contradictions (omnium rerum complicatio, etiam contradictoriorum) est inconcevable. On ne peut lui donner aucun nom. Car tout nom provient d’une distinction, d’une séparation par laquelle on oppose une chose à une autre. Mais Dieu n’a pas de contraire, pas plus que n’a de contraire la notion de grandeur dans toute l’échelle de maximum à minimum. Dans le culte religieux, l’ignorance consciente est remplacée par l’ignorance sacrée (la docta ignorantia par la sacra ignorantia), la théologie négative par la théologie positive. Alors on donne à Dieu des attributs et des noms déterminés ; aucun d’eux ne doit cependant être pris au pied de la lettre. Si l’on dit de Dieu par exemple qu’il est lumière, on n’entend pas par là une lumière qui contraste avec les ténèbres ; dans la lumière infi-