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favorisées, disposant d’une abondante matière, n’ont guère mis à élaborer et à s’assimiler cette richesse une énergie plus grande que celle que le Moyen Âge appliqua à son matériel indigent. Quelques points de détail que nous allons indiquer montreront les qualités que présente la pensée du Moyen Âge, et l’influence préparatoire qu’elle a exercée.

La pensée du Moyen Âge était théologique. La théologie d’une religion monothéiste part de l’idée fondamentale qu’il y a une cause unique de toutes choses. Abstraction faite des grandes difficultés que présente cette idée, elle a le grand et utile effet qu’elle habitue à négliger les différences et les particularités pour préparer à l’hypothèse de rapports entre toutes choses, rapports régis par des lois. À l’unité de cause doit correspondre l’unité de loi. Le Moyen Âge a élevé les générations dans cette pensée, à laquelle l’homme, inclinant plutôt au polythéisme, ne tend pas naturellement, confondu qu’il est par la diversité des phénomènes. C’est donc la préparation à une conception du monde déterminée par la science. Car tout en devant reconnaître que l’idée d’une loi unique et suprême est un idéal inaccessible, chaque science s’efforce de ramener les phénomènes au plus petit nombre de principes possible.

Pour développer ses idées dans le détail, la pensée du Moyen Âge ne disposait donc que d’un matériel très pauvre. Mais le travail qu’elle y consacra n’en fut que plus grand. La pauvreté des données concrètes devait être compensée par la richesse des élaborations formelles. La pensée déploya une pénétration formelle, une habileté de distinction et d’argumentation qui sont absolument sans exemple. On souhaiterait un meilleur emploi à cette habileté, mais c’était de l’habileté, et elle a eu une grande importance pour le développement de l’esprit. Elle a formé des organes qui, sur un terrain plus fécond, pouvaient finir par fonctionner. À la longue, elle devait mener à la critique des hypothèses qui longtemps avaient été de fermes soutiens qu’on n’osait examiner.

Le plus grand mérite du Moyen Âge fut d’approfondir le monde intérieur de la vie psychique. L’antiquité païenne s’en tenait à un rapport harmonieux de l’esprit et du corps et ne