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10. — Nicolas de Cusa

Dès la fin de l’antiquité, le besoin se fit sentir en philosophie de briser le système du monde nettement articulé et limité qu’avait imaginé Aristote. Plotin, le fondateur de l’École néo-platonicienne, émit une pensée qui, plus développée, aurait fini par faire abandonner toute tentative de limitation et de démembrement dogmatique de la nature. La limitation harmonieuse n’était pas pour lui l’idéal, comme pour Platon et pour Aristote. L’idéal, c’était quelque chose qui devait se trouver ou mener au delà de toute limite. L’infini devenait ainsi non plus quelque chose de purement négatif, mais l’expression d’une plénitude positive, incommensurable, auprès de laquelle la pensée et la parole sont en fin de compte impuissantes. Les formes, les êtres, les régions finies ne sont plus alors en soi que des manifestations bornées de l’infini. Tout en se tenant encore sur le terrain de la pensée grecque, la pensée court souvent chez Plotin le risque de se perdre dans le mysticisme. Il devient le père du mysticisme du Moyen Âge, qui protesta toujours contre le dogmatisme abstrait de la scolastique. Dans la conception de la nature, cette tendance poussa à mettre en relief l’enchaînement des forces internes malgré la diversité des phénomènes extérieurs et fit sentir l’impuissance à se satisfaire par la rigidité des formes et des limites dans tous les domaines. Par là, le mysticisme a préparé les voies à la théorie de l’évolution. Il importa grandement dans la suite que, pendant la Renaissance, ce fut la philosophie néo-platonicienne que l’on cultiva avec le plus de zèle. L’Académie de Florence s’est acquis à cet égard le principal mérite.

Nicolas Chrypffs, surnommé d’après sa ville natale Nicolas de Cusa, ne commença pas, dans ces nouvelles études, par subir l’influence des idées néo-platoniciennes. Il fut élevé à Deventer chez les « frères de la vie en commun », sur qui le mysticisme allemand du Moyen Âge avait fait une grande impression. Il était né en 1401 à Kues, petite ville des environs de Trèves ; mais il s’enfuit encore jeune de la maison paternelle pour échapper aux mauvais traitements de son père. Un gentilhomme, chez lequel il se réfugia, le fit ensuite étudier à