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ceinte et la limite était la région suprême, et la terre était le lieu de la matière la plus inférieure. D’après la conception du monde que se faisait le Moyen Âge tout se mouvait absolument autour de la terre et des événements qui s’y passent. Pourtant il pourrait très bien faire usage du schéma d’Aristote et de l’idée de l’imperfection du monde sublunaire, puisqu’il faisait descendre les forces du ciel pour intervenir dans les choses de la terre et pour les faire parvenir à leurs fins.

L’image dans l’ensemble — abstraction faite des difficultés dues aux sphères composées ou épicycles — était claire et intelligible. Elle tendait à admettre que l’espace sensible est l’espace absolu et que dans cet espace il y a des lieux absolus. Elle prenait le globe terrestre, sur lequel le philosophe ou l’astronome se trouvaient, pour le centre absolu du monde, ainsi que l’homme le fait constamment dans la pratique. Et le monde qui se groupait autour de ce centre dans les différentes sphères, avait pour limite la sphère extrême, au delà de laquelle rien n’existait. Il rentrait également dans la conception naturaliste antique de se figurer que tout avait des formes et des limites. L’illimité, c’était aussi l’obscur et l’informe, sinon le mal. L’image du monde pouvait s’appuyer ici sur l’intuition sensible et sur l’imagination, qui s’arrêtent toujours à un certain point, sans éprouver le besoin de demander ce qu’il y a au delà de ce point.

Cette conception du monde était vulnérable de deux côtés. En premier lieu, si on allègue des perceptions et des calculs qui la contredisent, ou, en tous cas, qui rendent une autre conception possible ou vraisemblable. En outre — et ce n’est pas ce qui nous intéresse le moins ici — si on conteste précisément la confiance naïve en l’absolue valeur de l’espace sensible. Si l’on vient à prouver que toute détermination de lieu dépend de l’endroit où se trouve l’observateur, la différence absolue entre la région céleste et la région terrestre est supprimée, ainsi qu’entre les lieux naturels de la région terrestre. L’investigation de la Renaissance s’attaqua par ces deux voies au tableau du monde aristotélique-médiéval, et, comme on le verra, elle prit la dernière voie avant la première.