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le rang où nous les mettons parmi ceux qui ont découvert l’Homme. Qu’on nous permette cependant de leur assigner leur place d’après la manière de voir qui dénote leur importance définitive dans l’histoire de la pensée.

Pour comprendre la transformation grandiose des idées sur le monde, le plus grand fait que la Renaissance ait produit en dehors de son art et de sa découverte de l’Homme, il faut au préalable mettre en relief les grands traits du tableau du monde qui s’imposait encore inébranlablement au xve siècle à l’attention des savants et des profanes. Il procédait de la physique d’Aristote et de l’astronomie de Ptolémée et avait été entremêlé d’idées bibliques, combinaison très possible, vu que le tableau du monde s’en tenait partout aux données immédiates des sens qu’il ne faisait que préciser et développer systématiquement.

Le commun des mortels comprend déjà qu’il y a une grande différence entre les mouvements du ciel et les événements d’ici-bas. Ici semble régner un perpétuel changement. Les phénomènes croissent et diminuent, naissent et passent. Des mouvements se forment qui cessent au bout d’un temps plus ou moins long. Il en est autrement là-haut : les étoiles poursuivent leur cours régulier sans modification apparente, et leur route les ramène toujours sur les mêmes voies, dans un mouvement circulaire éternel, sans trêve ni repos. Aristote fondait son système du monde sur ce contraste entre la région céleste et la région terrestre ou sublunaire. Il s’appuyait sur ce que la perception semblait enseigner, rappelant ainsi la vieille croyance, commune aux Hellènes et aux Barbares, qui faisait du ciel le siège des dieux éternels. Les régions célestes ne passent point ; le mouvement y est perpétuel et absolument régulier. La région sublunaire par contre est le pays de la fragilité ; le mouvement et le repos, la naissance et la mort y alternent.

Ces deux régions doivent donc nécessairement être faites de matières différentes. Les corps célestes doivent se composer d’une matière qui ne se sent nulle part chez soi et qui pour cette raison peut continuer son mouvement éternellement. Cette matière, le « premier corps », Aristote la nomme l’éther.