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source se sera mise à couler, on ne pourra plus l’obstruer. Ce n’est cependant pas l’orgueil, mais l’intime besoin de comprendre qui le guide pas à pas sur sa route. Grâce au sentiment naïf de dignité que lui inspire sa pensée nouvellement née, il ne chancelle plus et ne s’arrête plus. Ainsi que nous l’avons appris par un propos caractéristique, il regarde sa tâche comme expressément philosophique. « Qu’y a-t-il encore de caché, demande-t-il dans un autre passage, la vraie doctrine du Christ ? non, mais la philosophie. » C’est elle qu’il veut produire au jour, et il attribue à l’intelligence qu’il a acquise de cette science une importence si grande qu’il appelle son premier livre Aurore au lever ; le temps de la perfection doit maintenant être proche ! Et en effet sa pensée renferme des lueurs d’aurore. Tout en ne voyant pas où menaient les facultés nouvelles, il les a cependant senties.

Deux importantes lois servaient de base à Böhme dans ses spéculations : la loi de l’opposition en tant que condition de tout mouvement et de toute conscience et la loi de l’évolution en tant que développement progressif des différences. Pour ce qui est de la loi de l’opposition, il part nettement d’expériences psychologiques, comme on peut le voir à cette phrase caractéristique : « Aucune chose ne saurait se révéler à lui sans contraste. » Quant à l’idée de l’évolution en tant que production des différences, il subit l’influence de Paracelse. C’est lui qui a introduit dans la langue allemande l’idée de l’évolution11. Par l’emploi logique de ces lois, il a conduit l’idée religieuse jusqu’à sa limite, limite qu’aucun essai ultérieur analogue n’a pu franchir.

On pourrait croire qu’il existe une grande différence entre la spéculation religieuse de Böhme et la religion naturelle dont Bodin, Cherbury et Grotius se font les défenseurs. Böhme était, ou se figurait être un Luthérien positivement croyant. Mais il fut assez logique pour reconnaître que si la lumière et la vie divines agissent dans la nature entière pour contrebalancer la dureté et l’amertume, l’accès de la lumière ne peut être restreint. Chacun peut se frayer un chemin ou s’élever à travers la « colère » jusqu’à l’amour. Les Juifs, les Turcs et les Païens, qui ignorent le Christ, sont les égaux des Chrétiens.