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forces premières forment cependant dès le début un ensemble harmonieux. L’amertume de la racine de la nature ne sert qu’à en faire ressortir avec d’autant plus de force la douceur. La qualité amère est également en Dieu, mais elle devient une « source triomphante de joies ».

Reconnaissons même cette unité contradictoire primordiale, cela n’empêche pas l’énigme de rester irrésolue. Comment concilier avec cette unité l’expérience de la dureté et de l’amertume du monde, qui ne sont nullement des moments d’une harmonie intérieure, notamment l’expérience de la rude lutte entre le bien et le mal dans le monde intérieur et extérieur ? Nous sommes ici au nœud de toute spéculation religieuse. On ne peut pas plus faire dériver le défaut d’harmonie de l’harmonie absolue que de l’unité absolue la pluralité. Rien d’étonnant de voir l’imagination mythologique de Böhme emporter complètement sur sa pensée en un point où son sentiment est si violemment ému. Nous ne saurions donner ici une description sensible d’un drame où paraissent les personnes de la Trinité, les « qualités » et les « esprits-sources » ainsi que la troupe des archanges. L’essentiel est de savoir que l’un des éléments de la nature primitive de la divinité, l’élément de la colère, le Non, cherche à prendre le dessus avec la prétention de dominer le Tout. Non content d’être moment, il veut être totalité. C’est Lucifer, qui, aveuglé par son éclat, par sa force et par son siège, placé au centre suprême, veut désormais triompher de la divinité tout entière et avoir une « qualification » plus fière et plus superbe que Dieu même. Dès lors naissent la lutte et le tourment dont souffre le monde ; un feu est allumé, qui depuis ne s’est pas éteint. Les contraires se détachent de l’union harmonieuse du début ; la matière solidifiée est lancée dans l’espace, et c’est alors seulement que naît le monde tel que nous le connaissons maintenant. Le mal existait donc avant l’homme, il en reçut les germes dans sa nature. Böhme arrive enfin au point où commence l’histoire de la création dans le livre Ier de Moïse ; il n’a pas du reste un grand respect pour cette histoire, vu que différentes choses y « heurtent tout à fait la philosophie et la raison ». Il ne peut croire pour ce motif que « le bon Moïse en soit l’auteur. » D’une