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naît non plus rien ; toute chose doit avoir une racine, sinon rien ne croît ; si les esprits de la nature n’avaient été de toute éternité, il n’y aurait eu ni anges, ni ciel, ni terres. »

C’est la conviction de Böhme qu’on ne peut rien expliquer par une unité absolue. Il doit y avoir dans l’essence de la divinité une pluralité de moments ; il doit se faire valoir dans la divinité une diversité qui ne peut dès le début être engendrée arbitrairement, mais qui est comme la source obscure de la vie universelle. C’est ce que Böhme exprime sous une forme purement logique ou psychologique (dans les « problèmes théosophiques ») en disant que Dieu n’est pas seulement le Oui, qu’à ce moment positif doit nécessairement s’opposer le Non, sans quoi il n’y aurait ni joie ni sensibilité, et d’une manière générale, rien qui puisse ressortir franchement (pas de relief). Sans ce contraste interne et primordial entre le moment positif et le moment négatif, il n’y aurait pas de volonté. L’unité absolue n’a rien en soi qu’elle puisse vouloir. Dans son langage mythologique, Böhme nomme cet élément original du contraste, la colère de Dieu et le fondement de l’enfer. À l’origine, il y a en Dieu la colère aussi bien que l’amour, le fondement de l’enfer comme celui de la béatitude. D’où viendrait la colère, et tout ce que le monde renferme de tranchant, d’amer, de dur et de vénéneux, si tout cela n’avait sa racine en Dieu ? Mais la colère n’est primitivement qu’un moment qui sert à faire ressortir sciemment l’amour. La vie exige ce contraste ; s’il y a en toutes choses mobilité, croissance et appétit, ce n’est que parce qu’il y a différentes « qualités » de la nature. Böhme explique le mot qualité par une étymologie naïve qui exprime une idée de génie ; pour lui qualité dérive de quallen, Quelle : « la qualité, c’est la mobilité, quallen oder treiben, un jaillissement, une poussée. » « Qualification » est la même chose que « mouvement ». Il ne se contente pas d’attribuer aux choses des qualités d’inertie et d’immobilité, il réduit tout en forces et en tendances actives. La chaleur est une qualité, signifie par exemple qu’elle luit, réchauffe, décompose, fond. La pluralité des qualités — c’est-à-dire des forces premières — est donc pour Böhme un fait, aucune conscience n’étant possible sans cette diversité. Les