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presque imperceptible de l’homme dans la nature, telle fut donc la première pierre d’achoppement. Mais il vint encore s’y ajouter le conflit du bien et du mal, tant dans le monde humain que dans la nature, ainsi que le spectacle de la condition aussi bonne faite aux impies qu’aux hommes pieux. Les peuples barbares détiennent les meilleures régions de la terre et la fortune les assiste plus que les gens pieux. Telle fut la seconde pierre d’achoppement : comment l’existence du mal est-elle compatible avec l’existence de Dieu ? —

Le premier problème, né du contraste entre le monde si grand de la matière et le monde si lointain et si petit de l’esprit, il le résoud par la pensée que la force et l’essence divines se font sentir en tout, en nous aussi bien que dans les masses extérieures. Dieu n’est pas isolé de la nature, il est à elle comme l’âme est au corps. Le ciel n’est pas là-haut dans l’azur, il est dans ton propre fond, où la vie divine s’agite en toi. Dieu n’est pas loin ; tu vis en Dieu et Dieu en toi, et si tu es pur et saint, tu es Dieu. En toi s’agitent les mêmes forces qu’en Dieu et que dans la nature tout entière. Le feu, l’air, l’eau, la terre — tout est Dieu. Ou encore, tu n’es pas l’image de Dieu. Tu ne peux être une matière autre que Dieu lui-même. Quand tu regardes les étoiles, les terres et les abîmes de l’espace, tu vois Dieu et tu vis et tu es dans ce même Dieu. À la vérité, les corps célestes et les éléments ne sont pas la divinité dans toute sa clarté, mais la force d’où ils tirent leur vie agit aussi en toi. Les mouvements intérieurs de l’être humain sont de la même nature que ceux qui se produisent en Dieu. Dieu est caché dans tous les phénomènes de la nature ; il est reconnu seulement dans l’esprit de l’homme. On ne comprend rien à Dieu, tant que l’âme en reste séparée comme si elle était un être particulier.

Au lecteur qui qualifierait cet ordre d’idées de païen, Böhme répond : « Écoute et vois, et remarque la différence. Je n’écris pas en païen, mais en philosophe. Je ne suis pas non plus païen ; j’ai au contraire la profonde et vraie connaissance du Dieu unique et grand qui est tout. » Et, il sait ce qu’il lui en a coûté d’arriver à cette pensée, qui lui a rendu le monde vivant et lui a appris que l’esprit n’est ni éloigné de Dieu ni étranger