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rompe toutes les digues. Le cordonnier de Görlitz porte lui aussi dans le sentiment naïf et fort de sa valeur l’empreinte de la Renaissance. De même, les éléments mis en œuvre par lui dans son système font remonter aux mouvements philosophiques et naturalistes de cette époque, tendances qui étaient parvenues jusqu’à lui, après avoir passé par bien des moyens termes et subi bien des transformations. Il utilise ce dont il dispose pour résoudre les problèmes qui l’amenèrent pendant un certain temps à deux doigts du désespoir. Exemple remarquable d’aspiration philosophique qui se fait jour là même où elle semble exclue par les circonstances intérieures et extérieures ! Il mena une lutte si longue et si âpre contre l’obsession de ses pensées que, lorsqu’il aperçut la possibilité d’une solution, elle lui apparut comme une révélation, comme une lumière d’en haut. Il a décrit au chapitre xix de l’Aurore ses doutes, l’apparition de la lumière attendue et son état d’âme à cette vue, comme si « au milieu de la mort était née la vie ». Il était alors âgé de vingt-cinq ans. D’après la légende il aurait eu pour la première fois la vision claire de ses idées fondamentales pendant un état extatique où le plongeait la vue d’un plat de métal brillant. Et elles durent mûrir douze ans encore avant qu’il eût écrit son premier ouvrage (l’Aurore, 1612). La témérité qu’avait le cordonnier de philosopher aussi hardiment excita une grande colère chez un prêtre entre les mains duquel une copie du livre était tombée. Il traita Böhme d’hérétique du haut de la chaire et invita les autorités à lui interdire d’écrite ; pendant un certain temps notre doux homme dut même quitter la ville. Böhme ne tint compte de cette défense que pendant quelques années. Dans ses dernières années il déploya comme auteur une activité féconde. Il mourut à Görlitz en 1624.

Le problème religieux revêt chez Böhme deux aspects principaux. — Il était « profondément mélancolique et affligé » au spectacle de la petite place que l’homme occupe dans le monde extérieur. La demeure de Dieu est, au dire des savants, aussi haute que le ciel. Et les corps célestes et les éléments qui emplissent l’espace, semblent suivre leur voie sans se soucier de la condition des hommes ! L’éloignement de Dieu et la place