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la nature par les démons ? Il insiste en outre sur la nécessité d’appliquer la critique aux histoires de sorcières.

Le point de vue de Toralba est le point de vue propre à Bodin, tel qu’on le connaît d’après ses déclarations personnelles. Et pourtant il met dans la bouche de Senamus une critique que Toralba ne peut réfuter. En somme Senamus est l’esprit critique du dialogue. Quelqu’un demande qui doit être juge dans les querelles religieuses ; le Luthérien répond : le Christ qui est Dieu ; Senamus lui fait observer que la discussion roule entre autres précisément sur la divinité du Christ. Le Calviniste s’en rapporte aux témoins et aux documents. Senamus demande où trouver les vrais témoins et les vrais témoignages. Le Catholique s’en rapporte à l’Église, mais Senamus demande qu’elle est, d’entre les nombreuses Églises, la vraie. Le Luthérien s’autorise de la Bible, le Mahométan du Coran ; Toralba désavoue cet appel fait aux autorités et dit que c’est aux sages de décider de la chose ; mais Senamus demande alors qui est sage. Et comme le Catholique réclame à la fin une distinction entre l’essence et l’accessoire de la religion, Senamus montre que le grand différend naît précisément de la difficulté qu’il y a d’établir cette limite.

Senamus observe, à l’égard de la religion naturelle de Toralba, la même attitude qu’à l’égard des religions païenne, musulmane, juive et chrétienne. Il croit qu’elles sont toutes agréables à Dieu, si elles sont pratiquées dans un esprit de sincérité. Lui-même aime à visiter toutes sortes de temples, partout où il en trouve. Il ne cherche à offenser personne, pas plus le catholique, qui a le plus de croyances et qui est « religiosissimus » que celui dont toute la religion consiste à croire en un Dieu. Il n’oppose donc pas la religion naturelle, comme étant une religion particulière, aux religions positives. Bodin a fait naître en Senamus des pensées qui contiennent un correctif du dogmatisme où la religion « naturelle » peut tomber, ainsi que le montre l’histoire, tout comme les religions positives. Tout en faisant coïncider son propre point de vue avec celui de Toralba, il a indiqué une observation qui dépasse la conception de ce dernier. Il n’est pas impossible que Bodin se soit mis, dans ses dernières années, à douter des opinions qu’il