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des Mahométans et des païens) sont superflues. Pour la religion naturelle, point n’est besoin d’enseignement ni d’éducation à part ; on est créé pour elle ; elle est donnée dans notre propre nature. La nature, innée dans notre esprit, discerne et juge ce qui est bon et ce qui est mauvais. Chez quelques élus, cette faculté religieuse et morale revêt plus de force que chez d’autres. Toralba vante Platon (tout comme Bodin dans la lettre ci-dessus), d’être parvenu, « non sans le secours et la lumière de Dieu », à une si haute connaissance des choses divines. L’essence divine est infinie et ne peut se saisir par la pensée ; à plus forte raison ne peut-elle s’exprimer par des paroles.

On en approche le plus en qualifiant Dieu du nom d’Être éternel, élevé au-dessus de toute matière, d’Être de bonté, de sagesse et de force infinie. En cela, les philosophes grecs étaient d’accord avec les Hébreux et les Ismaélites, en sorte que cette idée est certainement inculquée par la nature.

Ajoutons à cela un autre trait de Toralba, qui fait songer à Bodin en personne. Malgré tout le progrès que Bodin avait fait sur son siècle sous plusieurs rapports, en un sens il y demeurait cependant attaché au beau milieu. Il croyait du fond du cœur à la magie et aux démons, et écrivit même un livre contre les impies qui recommandaient la prudence et la modération dans la punition des sorcières. C’est le diable en personne, dit-il, qui excite cette clémence pour les possédés. Dans le livre IIe du dialogue, il aborde cette question dans une discussion entre Toralba et Senamus, celui des orateurs qui du reste se rapproche le plus de Toralba. Toralba déclare que les physiciens modernes commettent une faute en voulant tout expliquer par des lois naturelles, sans reconnaître l’action de Dieu ou des démons. Senamus réplique que ce serait renverser toute science naturelle, car elle suppose des lois naturelles déterminées. À l’appui de sa conception, Toralba cite plusieurs histoires de démons et il a le plaisir de voir le Luthérien se ranger absolument à son avis. Senamus répartit qu’à supposer même qu’il y eût des démons capables d’intervenir dans le monde de la matière, on ne serait pas en droit d’expliquer par eux les phénomènes merveilleux. Et d’ailleurs, si l’on admet l’intervention des démons, pourquoi ne pas tout expliquer dans