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Franck et le Hollandais Coornhert s’élevèrent dans cet esprit contre le nouveau dogmatisme protestant. Ils indiquaient une expérience religieuse interne que l’on peut faire sous des formes confessionnelles très différentes. Le Christ invisible était pour Franck absolument la même chose que la lumière naturelle dont tout esprit humain possède une étincelle et qui, pour cette raison, peut s’enflammer, même dans un cerveau païen. On peut, disait Coornhert, suivre la loi du Christ sans connaître son nom. Ces deux hommes sont les précurseurs de la philosophie de la religion qui se développera plus tard et qui ne cherche pas à comprendre la religion positive et son importance au moyen de la critique extérieure des dogmes établis, mais en approfondissant la nature intime de l’esprit et les expériences internes qui sont la source dernière et l’asile constant de tous les dogmes. Ils eurent eux aussi à éprouver le fanatisme religieux. Le nom que l’on donnait généralement à ceux qui observaient une attitude indépendante à l’égard des confessions s’attacha surtout à Coornhert, que les prédicateurs hollandais appelaient le « prince des libertins »9.

Le développement de la religion naturelle prit des formes encore plus précises en France et en Angleterre. En France, la longueur et la violence des guerres de religion devaient nécessairement faire naître le besoin de sortir de la lutte des confessions et fixer l’attention sur le côté humain que chacune d’elles possède.

Henri de Navarre (qui devint plus tard Henri IV), écrivait en 1577 : Ceux qui suivent simplement leur conscience appartiennent à ma religion, et j’appartiens à la religion de tous les braves gens. À la même époque, Montaigne avait abouti en son genre à l’idée d’une religion universelle existant chez tous les hommes, quelle que soit leur conception de la divinité. Mais le document le plus remarquable en ce sens, nous le trouvons chez Jean Bodin, dont nous avons déjà relevé les idées en matière politique. Il a laissé un dialogue entre sept hommes (Colloquium heptaplomeres), dont chacun, prenant son point de vue religieux, le développe sans réserve, tout en faisant preuve de la plus grande amabilité et de l’intelligence la plus subtile du côté personnel des idées religieuses. Un