Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est lorsque ces conditions viennent à manquer. On se trouve ainsi en quelque sorte en présence d’une expérience. Si les conditions existaient toujours, on ne leur prêterait aucune attention. — D’après Grotius, une impulsion involontaire porte l’homme à s’attacher à d’autres hommes. À supposer même que nous n’ayions absolument pas besoin d’eux, nous rechercherions leur commerce et la vie en commun avec eux. Il se trouve en réalité que nous ne saurions nous passer de l’assistance d’autrui, mais telle n’est pas la raison proprement dite de la vie sociale. Chez les enfants, on peut déjà constater un penchant à faire le bien et à éprouver de la compassion pour le malheur d’autrui. Cette impulsion naturelle (appetitus societatis) se développe et s’épure à mesure que les relations avec autrui deviennent, au moyen du langage, un commerce intellectuel, et que l’homme acquiert la faculté d’organiser sa connaissance et ses actions d’après des principes généraux, de façon à traiter les cas semblables de semblable manière. L’origine du droit naturel réside dans la tendance à garantir une vie sociale de cette sorte. Les actions humaines sont jugées dès lors d’après leur concordance ou leur contradiction avec les exigences de cette vie sociale. Le droit naturel découle ainsi de principes situés dans l’homme lui-même (ex principiis hominis internis) et qui seraient valables, même si Dieu n’existait pas. Cependant on peut qualifier Dieu de créateur du droit naturel, car il est le créateur de la nature, et a par conséquent voulu que ce droit fût reconnu.

Le premier précepte du droit naturel, qui en est aussi le plus important, est que les traités doivent être observés et les promesses tenues. Cela est impliqué dans la volonté originelle qui fait la société. Toute obligation a sa raison dans une convention préalable ou dans une promesse donnée. La loi positive (jus civile) dérive ainsi de la loi naturelle. Car la vie sociale ne saurait subsister, si les hommes ne pouvaient prendre d’engagements les uns vis-à-vis des autres. La vie civile tout entière repose donc sur une justice éternelle et immuable qui fait loi, aussi bien pour Dieu que pour tout être raisonnable. La nature humaine, qui est la mère du droit naturel, devient ainsi l’aïeule du droit positif, puisque la source du droit posi-