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l’arbitraire de l’ancien régime, où la volonté générale ne pouvait pas plus se faire jour que la volonté individuelle ; il voulait les émanciper toutes les deux, il avait bien le droit de se reposer sur l’avenir du soin de les concilier mutuellement. Il avait donné assez de problèmes à résoudre à son siècle. —

Rousseau occupe dans l’histoire de la philosophie une place qui offre une certaine analogie avec celle de Leibniz. Tous deux mettent en relief le problème de la valeur des choses : ils ne se contentent plus de l’explication mécanique de la nature et de l’organisation mécanique de la société ; ils recherchent la signification de la nature et de la société pour le sentiment humain, source de toute estimation des valeurs. De là vient que tous deux soulignent le droit de l’individualité et la profondeur infinie de l’âme individuelle. Mais ces deux esprits si divergents s’y prennent d’une façon bien différente pour développer ces pensées. Leibniz cherchait à conserver la conception scientifique de la nature en voyant dans les lois trouvées au moyen de cette conception des manifestations de l’harmonie qui existe entre les développements personnels d’une foule immense d’êtres individuels. Le passage graduel des ténèbres à la clarté était la loi fondamentale de tout développement dans ce système harmonieux du monde. Ce n’était pas chose facile au pauvre Jean-Jacques que de trouver l’harmonie, ni dans son moi, ni hors de son moi. Dans ses moments d’extase, il y croyait, il la voyait au regard de sa conscience. Mais sa monade avait une obscure profondeur qui ne pouvait s’éclairer, elle s’assombrissait de plus en plus ; et, dans le monde comme dans la société, il ne put fondre tout en une harmonie intellectuelle. Son sentiment était trop fort pour pouvoir s’expliquer comme pensée confuse. Voilà pourquoi il défendit les droits de l’irrationnel. Par l’expérience personnelle de la vie, il fut conduit finalement aux résultats auxquels Hume avait abouti au moyen de la théorie de la connaissance : on sait que Hume avait montré que toute notre connaissance repose sur des hypothèses qu’on ne peut démontrer. Au point de vue pratique donc comme au point de vue théorique, il y avait assez de problèmes à reprendre pour celui qui parviendrait à faire progresser la philosophie.