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problème du mal. La religion de Rousseau, c’est, à proprement parler, la joie et l’enthousiasme de sentir dans l’univers une puissance qui crée le bien. Il ne croit pas aux effets physiques de la prière. Sa prière est un transport d’enthousiasme : l’admiration de la nature se transforme à son apogée92 en un hymne au « grand Être » qui agit partout, et pour qui la pensée ne peut trouver de concept ; enfin l’enthousiasme devient extase, et alors aucune parole ne saurait exprimer sa profonde et puissante inspiration : l’âme s’élance au delà de toutes les barrières (Troisième lettre à Malesherbes). L’autonomie du sentiment en face de la connaissance, soutenue par Rousseau, se manifeste ici dans ce fait qu’à son faîte le sentiment ne peut trouver de termes satisfaisants pour exprimer ses représentations. De là il n’y avait qu’un pas à faire pour reconnaître que toutes les idées religieuses, tous les dogmes sont des symboles. Rousseau fut empêché de faire ce pas par son dogmatisme déiste.

Il oppose aux religions positives sa religion naturelle qu’il, considère comme indépendante de toute tradition. Il est convaincu que si l’on était resté fidèle à la voix du cœur, on n’aurait pas eu d’autres religions que cette seule religion. Mais il avait la conviction qu’il y avait place dans sa religion pour l’essence véritable du christianisme. Il écrit à l’archevêque de Paris (Lettre à M. de Beaumont) : « Monseigneur, je suis chrétien, et sincèrement chrétien, selon la doctrine de l’Évangile. Je suis chrétien, non comme un disciple des prêtres, mais comme un disciple de Jésus-Christ. Mon maître a peu subtilisé sur le dogme, et beaucoup insisté sur les devoirs : il prescrivait moins d’articles de foi que de bonnes œuvres : il n’ordonnait de croire que ce qui était nécessaire pour être bon ! » Il passait sur les énigmes du christianisme ; elles ne portent pas sur l’essentiel, c’est-à-dire le fond moral. Si l’on s’attache à ce qui dépasse ce fond et aux formules dogmatiques arrêtées, on aboutit à l’iniquité, à la fausseté, à l’hypocrisie et à la tyrannie. Et Dieu aurait ordonné toute cette érudition dogmatique — et en sus destiné aux peines de l’enfer ceux qui ne pourraient devenir aussi savants ! On ne peut connaître ces dogmes positifs que par des livres écrits par des hommes et attestés par des hommes. L’Évangile est le plus sublime de tous les livres,