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fiance dans l’usage involontaire des facultés, car il a recours à un sage éducateur et à tout un système d’intrigues et de conventions pour empêcher Émile de subir d’autres influences que celles qui sont prétendues convenir à son âge. La construction systématique est caractéristique de Rousseau dans tous les domaines. Son vif sentiment et son enthousiasme lui firent voir ce qu’aucun autre ne put voir : mais il eut cette inspiration grandiose et ce fut tout : quand on veut pousser la pensée dans le détail, on voit combien il est loin du monde réel ; au lieu de prendre pour guide les points de détail des expériences réelles, il laisse libre jeu à sa faculté de construction. « Le gouverneur » assiste même dans la coulisse aux fiançailles et au mariage d’Émile et arrange tout — et il ne le fait pas toujours d’une façon négative et indirecte.

D’accord avec la pensée fondamentale de sa pédagogie, la conception religieuse ne doit pas, d’après Rousseau, être donnée à l’enfant du dehors, elle doit être tirée de lui-même sous l’influence des besoins du cœur. Rousseau nous fait connaître sa religion dans le célèbre chapitre la Profession de foi du vicaire savoyard, qui est intercalé dans L’Émile. Ses idées religieuses ne contiennent rien de nouveau. Il trouve l’expression de son sentiment dans les idées de la « religion naturelle » ou du « déisme ». Il ne prétend pas donner de preuve de la légitimité de ces idées, il les pose en dogmes. La matière ne peut tenir son mouvement d’elle-même, la cause première du mouvement doit être une volonté personnelle. Par opposition à la doctrine de Condillac ; il affirme qu’il y a une différence essentielle entre la sensation et la pensée, et par opposition au matérialisme, qu’il y a une différence entre l’esprit et la matière, car ce sont deux substances différentes. Dans le développement que Rousseau consacre à ce sujet se trouvent plusieurs remarques intéressantes, et il est particulièrement intéressant au point de vue historique qu’un compatriote de Rousseau, Charles Bonnet, ait critiqué presqu’en même temps dans ses écrits sur la psychologie (dont le plus important est l’Essai analytique sur les facultés de l’âme ; Copenhague, 1760), la tentative faite par Condillac, de ramener toute la vie psychique à la sensation passive, sans qu’on puisse