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ces idées dans L’Émile et dans le Contrat social. Elles rencontrèrent de l’opposition chez les partisans de l’ancien régime et excitèrent les railleries des partisans du nouveau. Ses œuvres furent brûlées par les autorités, Voltaire le traita d’archifou. Diderot le désignait sous le nom du « grand sophiste ». Naturellement, aucun des partis n’avait poursuivi le problème à une telle profondeur, aucun n’en avait éprouvé comme lui l’aiguillon intérieur. Les conservateurs invoquaient une sanction surnaturelle, et les encyclopédistes croyaient avoir mis au jour la vraie lumière, et l’avoir rendue accessible à ceux qui la méritaient. Pourquoi donc ces paradoxes et ces plans d’avenir ?

Dans son Émile, Rousseau prétend qu’il faut laisser libre jeu à la nature ; l’art de l’éducateur consiste à écarter les obstacles et à créer les meilleures conditions possibles, qui permettent aux facultés et aux instincts de se développer conformément à leur propre nature. On ne doit imposer aucune culture du dehors, ni par le moyen de l’autorité, ni par celui des lumières. L’enfance a sa fin en elle-même, comme toute autre période de la vie, et elle ne doit pas être traitée comme une simple préparation. On ne connaît pas l’enfant, car jusqu’ici on ne le considérait qu’au point de vue des adultes. Il a le droit naturel de se développer librement.

Ne l’enveloppez donc pas dans un maillot, allaitez-le avec le lait de sa mère, ne le dorlottez pas, laissez-le suivre son instinct de conservation et faire lui-même ses expériences, ne l’instruisez pas de ce qu’il peut apprendre lui-même, ne lui faites pas de sermons, n’excitez pas en lui des désirs et des besoins avant qu’ils ne puissent être satisfaits ! — Plus on peut reculer le développement intellectuel, mieux cela vaut. Il importe que l’esprit soit formé, afin que l’usage prématuré de ses facultés ne le fasse pas dépérir. Autant que possible, conduisez l’enfant jusqu’à sa douzième année, sans qu’il puisse distinguer sa main droite de sa main gauche. Ses yeux s’ouvriront d’autant plus vite à la raison, lorsque le temps sera venu ! Laissez-le grandir sans préjugés, sans habitudes et sans connaissances ! Autrement, on n’apprend pas à connaître la nature particulière à l’enfant. L’embryon du caractère demande du