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mythologiques de l’enfance de l’humanité que le système de la nature voulait précisément détruire : avec ses prêtres rusés, d’Holbach introduit une nouvelle espèce d’êtres mythiques.

Il aborde un grand problème : quelle valeur ont les idées religieuses, quand on ne peut plus les employer, comme dans l’enfance de l’humanité, pour combler les lacunes de notre connaissance ? La philosophie du XVIIIe siècle ne pouvait répondre à cette question, à cause de son intelligence imparfaite des forces de la vie religieuse. Si en effet le monde des dieux était simplement accolé du dehors à l’humanité ou imposé par persuasion, s’il n’était pas issu des facultés mêmes et des besoins de l’esprit humain, il n’existerait pas à proprement parler de problème religieux. Il fallut une génération nouvelle et une ère nouvelle pour reprendre cette question. — Rousseau, dont la solitude dans son siècle tenait à ce qu’il sentit plus tôt qu’aucun autre l’aiguillon de ce problème, est seul à essayer sur lui ses facultés.

Avant de passer à la peinture de cet homme remarquable, observons encore à propos du Système de la nature qu’un certain dualisme apparaît dans la notion de nature qu’il prend pour base. D’une part, la nature est définie : un être qui existe par soi-même, qui est sa propre cause, — étant sa substance éternelle — c’est-à-dire que cette définition rappelle Spinoza. D’autre part (et souvent d’une seule haleine, par exemple, II, p. 202), il concède que nous connaissons seulement les causes actives dans l’expérience, et non les causes premières. Ici la notion de nature se fonde sur l’expérience, là sur une construction de la pensée. Mais quelle valeur a-t-elle sous ces deux formes ? Jusqu’où l’expérience peut-elle nous conduire ? De quel droit fait-on des constructions de pensée ? Autant de questions qui ne sont pas soulevées. La philosophie du siècle des lumières ne doute pas de ses lumières ; elle est d’ailleurs au monde pour éclairer les autres. — Et pourtant l’avenir de la philosophie dépendait de la discussion de ces problèmes. Mais l’atmosphère intellectuelle de la France n’était pas assez calme pour entreprendre ce travail. Il était au contraire en bonne voie dans une petite ville universitaire de l’Allemagne, lorsque parut le Système de la nature.