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ment de son ouvrage le plus important, celui qu’on a nommé la Bible du matérialisme : le Système de la nature, qui parut en 1770 sous un nom d’emprunt. Il est dit aussi dans la préface que l’auteur a reçu des secours de plusieurs amis. Outre Diderot, le mathématicien Lagrange, précepteur de la famille d’Holbach, y aurait également collaboré. D’Holbach lui-même fournit principalement la méthode. Ce livre est en effet le matérialisme en système, tâche que ni La Mettrie, ni Diderot, esprits plutôt chercheurs ou amateurs, n’avaient tentée. Il ne renferme pas à vrai dire de pensées nouvelles. Son importance réside dans l’énergie et l’indignation avec laquelle il poursuit toute opinion spiritualiste ou dualiste pour sa nocuité, tant au point de vue pratique que théorique.

D’Holbach développe cette idée que la croyance à des causes spirituelles, à un Dieu par rapport au monde, à une âme par rapport au corps, ne serait nécessaire que si la nature matérielle était morte, passive, incapable de se mouvoir par elle-même. Mais du moment que dans la nature il n’y a pas d’immobilité, que le mouvement est une propriété fondamentale de la matière, pourquoi les causes spirituelles seraient-elles nécessaires ? Au reste, elles n’expliquent rien et nous ne faisons que déclarer notre ignorance en les invoquant : nous mettons l’âme ou Dieu, là où nous ne pouvons découvrir la cause naturelle. En réalité c’est un reste de la manière dont l’homme sauvage s’expliquait les phénomènes naturels par l’intervention d’esprits. Chaque fois que la science a tenté une explication naturelle, la théologie a lutté pour l’explication surnaturelle. De l’esprit nous ne savons rien, si ce n’est que c’est une propriété liée au cerveau. Si l’on demande comment le cerveau a acquis cette propriété, voici la réponse : « Elle est le résultat d’un arrangement ou une combinaison, propre à l’animal, en sorte qu’une matière brute et insensible cesse d’être brute pour devenir sensible en s’animalisant, c’est-à-dire en se combinant et en s’identifiant avec l’animal. C’est ainsi que de même le lait, le pain et le vin se changent en la substance de l’homme. » (Système de la nature I, p. 113, Londres 1774.) Nous connaissons déjà cette comparaison par Diderot ; mais, autant qu’on peut voir, d’Holbach ne artage pas cette opinion de Diderot,