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l’avantage personnel, attire sa critique ; il croit que la nature humaine offre une base qui permet de reconnaître le juste et le bien, base qui ne disparaît jamais entièrement dans aucun homme. Il soutient cette opinion avec un grand enthousiasme dans le salon d’Holbach, et dans ses écrits antérieurs (notamment dans l’adaptation d’un ouvrage de Shaftesbury) il avait développé cette idée, qu’il y a un sens moral spécial. On voit clairement par ses lettres qu’il renonça à cette idée. Ce que l’on appelle instinct moral, et qui apparaît dans nos actions involontaires ou dans les jugements que nous portons sur des actions, est en réalité le résultat d’une infinité de petites expériences qui commencent avec la vie. Une foule de motifs différents interviennent ici, mais aucun d’eux n’a besoin de se présenter à notre conscience au moment de l’action ou du jugement. « Tout est expérimental en nous » ; mais nous n’avons pas besoin d’avoir conscience de ces expériences (Lettres à Mlle Voland, 2 sept. 1762, 4 oct. 1767). Parmi ces motifs inconscients ou oubliés, il s’en trouve qui nous concernent nous-mêmes, notamment la recherche de l’honneur et de la gloire immortelle (Diderot a une correspondance active avec le sculpteur Falconet sur l’importance de ce mobile). On trouve chez Diderot l’esquisse d’un examen de la genèse du sentiment moral, et il est particulièrement intéressant que son grand enthousiasme pour les « mobiles des grands et nobles esprits » ne soit pas refroidi par son idée que ces mobiles sont le fruit du développement de l’expérience. Il ne peut toutefois mener cette conception à bonne fin, surtout quand il se trouve en présence des lois de la morale sociale courante. C’est dans l’individu seul, et non dans la société, qu’il trouve une évolution naturelle. La société contemporaine offrait des règles et des institutions qui lui semblaient si contraires au bon sens, surtout en les comparant aux récits faits sur la vie des peuples sauvages, qu’il ne pouvait se les figurer que nés de la superstition et de la tyrannie. Il ne pouvait trouver de moyens termes entre l’homme à l’état de nature et l’homme civilisé. Comment une morale contraire à la nature serait-elle née autrement que par la ruse et l’arbitraire des souverains ? « Examinez bien profondément toutes les institutions politiques,