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d’Alembert, deux dialogues qui, par la forme comme par le fond, appartiennent aux ouvrages classiques de la philosophie.

D’Alembert fait une objection qui reste sans réponse. Alors même qu’on attribuerait aux molécules de la matière une sensibilité primordiale (sous la forme potentielle), comment de la disposition de ces molécules peut-il naître une conscience qui n’aurait son siège dans aucune de ces molécules et qui répondrait à l’ensemble de toutes les molécules ? « Tenez, philosophe, dit d’Alembert, je vois bien un agrégat, un tissu de petits êtres sensibles, mais un animal, un tout, un système, un lui, ayant la conscience de son unité ! Je ne le vois pas, non, je ne le vois pas. » On s’attache donc à cette idée qu’ici — à la formation de la conscience — il y a un problème que l’on ne résout pas, en admettant que la sensibilité est une qualité générale de la matière. Diderot reconnaît ainsi que la monade ne peut s’expliquer par la voie mécanique : il est impossible de dériver l’unité qui caractérise la conscience au moyen de l’assemblage mécanique. Mais il ne conserve pas toujours la clarté d’idées qui se manifeste chez lui avec des lueurs d’orage. Le souvenir et la comparaison, pour lui comme pour Condillac, découlent purement et simplement des sensations particulières. Cependant cette esquisse montre avec quelle profondeur Diderot a examiné la question. Il ne suit pas les voies ordinaires du matérialisme.

La difficulté d’expliquer la formation de l’individualité consciente est reléguée dans l’ombre chez Diderot avec d’autant plus de facilité que tous les individus finis forment par leur filiation interne un grand ensemble : « Ne convenez-vous pas que tout tient dans la nature et qu’il est impossible qu’il y ait un vide dans la chaîne ? Que voulez-vous donc dire avec vos individus ? Il n’y en a point, non, il n’y en a point. Il n’y a qu’un seul grand individu : c’est le tout. » Ainsi il passe d’une extrémité de notre connaissance à l’autre, de l’individualité à la totalité. Il s’arrête un moment, étonné de ce qu’il aperçoit à ces points extrêmes ; mais sa pensée vibre bien trop violemment pour laisser aux problèmes le temps de se fixer. On trouve les mêmes oscillations dans les idées éthiques de Diderot. La tentative faite par Helvétius pour expliquer tous les sentiments par la recherche de