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dit-il, l’intérêt de la société ; mais il n’applique à vrai dire cette mesure que pour établir une différence entre la débauche, sentiment de plaisir qui porte préjudice à la société, et la volupté, sentiment de plaisir qui ne nuit pas à autrui. Cette distinction faite, il s’en tient à la volupté et donne à ce propos des indications détaillées (L’art de jouir), où la sentimentalité et la sensualité s’allient d’une manière répugnante.

Denis Diderot (1713-1784) marque dans la littérature française du xviiie siècle l’apogée de la pensée philosophique et en même temps l’apogée de l’esprit révolutionnaire. C’était un homme au cœur brûlant, doué d’une grande faculté de se mettre dans les sujets et les situations les plus disparates, un Leibniz français, capable de trouver partout la vie et de comprendre les détails particuliers, mais qui en même temps éprouvait le besoin de saisir la filiation de l’ensemble. Souvent le poète combattait en lui le philosophe ; beaucoup de ses pensées n’expriment avec une partialité aveugle que la disposition du moment, sans chercher à trouver le fil capable de les relier à d’autres pensées qu’il avait également l’intention de soutenir. Le goût cynique des crudités et des platitudes pouvait alterner chez lui avec les idées et les états d’âme les plus sublimes. Et dans ses œuvres on trouve des épanchements sentimentaux à côté de développements de pensées géniales. Sa carrière littéraire fut très changeante. Ses contemporains ne connaissaient en lui que l’auteur de comédies et de quelques écrits ayant trait à la philosophie de la nature et déistes de tendance, ainsi que l’éditeur de la grande Encyclopédie. Il avait été forcé, à cause de la censure, de faire le contrebandier, toutes les fois qu’il voulait y produire ses propres idées. L’Encyclopédie prit le meilleur de sa force et de son temps. C’est avec une persévérance incroyable qu’il mena à bonne fin cette œuvre gigantesque en dépit de toutes les résistances. Sa curiosité universelle se révéla ici de grandiose façon : il ne rédigea pas seulement une série d’articles philosophiques, il fournit encore des articles sur les métiers et les usines qui s’appuyaient sur une étude personnelle et approfondie. Cet ouvrage fait époque dans l’histoire de la civilisation, car il étendait les lumières et les connaissances à de vastes groupes. Toutefois Diderot ne put y exposer ses