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parce qu’il a le plus de besoins (L’homme plante). — Nous rencontrons ici un pressentiment intéressant de l’idée de la lutte pour l’existence. Et quand La Mettrie pose ce principe : « Des êtres sans besoins sont aussi des êtres sans esprit », il n’est pas impossible qu’il ait fourni par là à Helvétius le motif de l’une de ses principales idées.

Le côté de la doctrine de La Mettrie qui a été décrit jusqu’ici est intéressant, même quand on ferme les yeux sur les idées matérialistes qu’il en fait dériver. La nécessité de tirer une conséquence matérialiste tient pour lui à ce que nous ne voyons autour de nous autre chose que matière sous des formes incessamment changeantes. Il est vrai qu’il accorde que nous ne connaissons pas la véritable essence de la matière. Mais nous en connaissons les qualités, à savoir : étendue, mouvement et sensation. Le fait que la sensation est une qualité de la matière dérive pour lui de l’expérience, qui nous montre que certains états organiques sont toujours accompagnés de sensation, et il s’autorise ici notamment de l’examen comparatif qui nous montre la vie psychique variant selon l’organisation. Si l’âme n’était pas matérielle, c’est-à-dire étendue, comment expliquer alors que l’enthousiasme nous échauffe, et d’un autre côté, que l’ardeur de la fièvre ait une influence sur les idées ? (L’homme machine, Œuvres, III, p. 75 et suiv.) Toutes nos pensées doivent être des modifications matérielles. Et comme en réalité une multitude de pensées trouvent place dans notre cerveau, elles doivent être extrêmement petites pour pouvoir y « loger » ! (Traité de l’âme, p. 103 : De la petitesse des idées.) — La Mettrie considère l’idée d’une substance spirituelle comme une hypothèse inutile et contradictoire ; il déclare se contenter des enseignements de l’anatomie et de la physiologie — et il croit le faire. Il prétend que le problème de la vérité du matérialisme doit être tranché par la théorie pure. L’élévation de notre esprit ne dépend pas de la question de savoir si nous pouvons lui appliquer le terme vide d’incorporalité, mais de sa force, de son étendue, de sa clarté. Il n’a pas à rougir d’être né dans la fange. — La Mettrie a raison de croire que le matérialisme peut s’unir à l’idéalisme pratique. Sa philosophie morale, autant qu’il en a une, est loin, il est vrai, d’avoir ce caractère. La mesure de la justice, c’est,