Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La tendance révolutionnaire de ces écrivains, leur conviction qu’il faut réformer le ciel avant de pouvoir réformer la terre, n’empêchent pas que leurs œuvres possèdent une valeur philosophique. Ils combattent la doctrine spiritualiste, non à la vérité avec des arguments de principes qui dépassent les productions de Hobbes et de Spinoza, mais avec une plus grande abondance d’expériences de détail. Ils s’appuient non seulement sur les principes généraux de la science mécanique de la nature, comme les penseurs du XVIIe siècle, mais encore sur les résultats que la science de la vie organique avait produits au cours du dernier siècle. Ici, il faut citer notamment La Mettrie (1709-1751), le véritable fondateur du matérialisme français du xviiie siècle. Il était médecin militaire, mais perdit sa place à cause de ses attaques dirigées contre la médecine officielle, en partie aussi à cause de son Histoire naturelle de l’âme (1745) où il exprimait pour la première fois ses idées. Il résida alors un certain temps en Hollande ; mais devant le scandale que provoquait son ouvrage L’homme machine (1748), il dut s’enfuir de là en Prusse. Il trouva un asile auprès de Frédéric le Grand, dont il devint le lecteur et avec qui il semble avoir été très intime. Il mourut subitement en 1751 ; de méchantes langues (notamment Voltaire) racontèrent que sa mort était due à sa gloutonnerie, mais il est probable qu’on se trouvait en face d’un empoisonnement. Le caractère de La Mettrie plaît par sa hardiesse et par une certaine légèreté aimable. Mais il pouvait aussi être effronté au lieu d’être hardi, et frivole au lieu d’être léger, et sa réputation de philosophe a souffert de ces côtés défavorables de son caractère, qui incontestablement se retrouvent aussi dans ses œuvres. Albert Lange dans son Histoire du matérialisme et Dubois Reymond dans son ingénieux exposé sur la Mettrie ont notamment préparé dans ces derniers temps un jugement plus juste sur son compte.

La Mettrie veut construire sur l’expérience et la perception ; il veut appliquer la méthode comparée. Comme naturaliste il est disciple de Boerhave, le célèbre médecin qui appliqua les principes de la physique cartésienne à l’étude de la vie organique. Le titre de l’ouvrage bien connu de La Mettrie L’homme machine nous ramène à Descartes, et le livre pourrait très