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Un des grands principes d’Helvétius, c’est que nous ne pouvons reconnaître en fait d’idées et de propriétés du caractère que celles qui s’accordent avec nos propres idées et nos propres sentiments. Nous ne reconnaissons l’esprit (dans le sens de faculté de former de nouvelles associations d’idées) que là où les nouvelles associations d’idées que nous rencontrons ont une certaine analogie avec nos propres pensées et s’accordent avec nos propres intérêts. Et ce qui est vrai de la reconnaissance de l’esprit est aussi valable pour la reconnaissance de la probité. Nous ne reconnaissons rien sans que notre propre intérêt soit mis en jeu. Mais, dit Helvétius, l’intérêt est de deux sortes : « Il est des hommes animés d’un orgueil noble et éclairé, qui, amis du vrai, conservent leur esprit dans cet état de suspension qui y laisse une entrée libre aux vérités nouvelles. De ce nombre sont quelques esprits philosophiques, et quelques gens trop jeunes pour s’être formé des opinions et rougir d’en changer… Il est d’autres hommes, et dans ce nombre je les comprends presque tous, qui sont animés d’une vanité moins noble. Ceux-là ne peuvent estimer dans les autres que des idées conformes aux leurs et propres à justifier la haute opinion qu’ils ont de la justesse de leur esprit. » (De l’esprit, II, 3. Cf. De l’homme, IV, 6 : « Le génie a pour protecteur et pour panégyriste la jeunesse et quelques rares hommes éclairés et probes. ») — Outre la vanité vulgaire, Helvétius cite encore la paresse comme un obstacle s’opposant à la reconnaissance d’idées nouvelles et de vertus nouvelles. On ne pourra à son sens surmonter ces obstacles que si un sentiment suffisamment fort arrache l’homme à son apathie et à l’étroitesse de son horizon. — Les ouvrages d’Helvétius (dont la tendance a souvent été mal comprise) examinent tous les deux les conditions nécessaires à la formation de grands esprits et de caractères éminents et les conditions auxquelles ils se feront reconnaître quand ils seront formés. La condition fondamentale, c’est à ses yeux l’étroite union de la vie individuelle avec la vie publique. Ses théories sur l’homogénéité primitive des individus, sur l’intérêt personnel considéré comme élément fondamental et sur la toute puissance de l’éducation servent toutes à inculquer une seule et même pensée essentielle.