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contre les abus publics et contre l’oppression qui vient d’en haut. La morale, la législation et la pédagogie ne sont pas trois tendances différentes, elles reposent sur un même principe, sur le principe du bien public, du bien du plus grand nombre d’hommes possible, qui sont unis en État (De l’esprit, II, 17). Ce qui est reconnu comme bon et ce qui est reconnu pour être vertu (probité), repose sur l’intérêt. La plupart n’estiment bon que ce qui s’accorde avec leur propre intérêt seulement. Relativement il en est bien peu — surtout dans un état social et politique mauvais — qui possèdent assez de fierté éclairée et de noblesse intellectuelle pour régler leurs jugements moraux sur le bien public, sans se laisser égarer par l’étroitesse de leurs propres intérêts ou par ceux de leurs entourages immédiats. Cette noblesse d’âme ne suppose nullement qu’il faille dépouiller l’amour de soi, car c’est une chose impossible. Mais elle suppose que l’intérêt personnel est inséparablement lié à l’intérêt public, surtout au moyen du désir de puissance et d’honneurs. « Personne, dit Helvétius (De l’homme, V, 1), n’a jamais concouru à son préjudice au bien public. Le héros citoyen qui risque sa vie pour se couronner de gloire, pour mériter l’estime publique et pour affranchir sa patrie de la servitude, cède au sentiment qui lui est le plus agréable… L’homme honnête n’obéit donc qu’au sentiment d’un intérêt noble. » — On ne voit pas clairement chez Helvétius si le désir de puissance et d’honneurs ne prend pas, lorsqu’il s’unit inséparablement à la considération du « bien public » une nature autre que lorsqu’il reste isolé et que pour cette raison il cherche à se satisfaire par n’importe quel moyen. L’expression « noblesse d’âme » semble supposer que le sentiment doit bien subir une certaine métamorphose quand, à la suite d’une éducation soignée, il parvient à relier si étroitement l’idée de justice avec l’idée de puissance et de bonheur qu’elles se fondent complètement en une seule idée (Note 33, De l’homme, Sect. 4). Chez Helvétius (ainsi que chez Condillac) on constate l’absence d’exactitude dans l’examen de la manière dont les sentiments se modifient sous l’influence des idées et des associations d’idées, recherches commencées par Spinoza, Hume et Hartley.