Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(Voir notamment De l’art de raisonner I, 3 et Discours préliminaire du cours d’étude, art. 4). Au reste, la doctrine de Condillac ne porte que sur nos sensations ; elles ne sont que les propres états de la « statue » ; si la première sensation est un parfum de roses, l’âme ne sera que parfum de roses, et un point c’est tout. L’étendue, qui d’après Condillac provient du toucher seul, et nullement à l’origine de la vue, n’est que l’élément le plus constant de nos sensations, autour duquel les autres éléments se rassemblent ; mais a-t-on pour cela le droit de la regarder comme l’expression de la réalité absolue ? L’étendue est une sensation qui au même titre que les autres sensations est éveillée en nous par quelque chose dont nous ne connaissons pas l’essence (Traité des sensations I, 1 ; II, 11 ; IV, 5). Condillac montre qu’il a subi l’influence de Berkeley (« Barclai », ainsi qu’il l’appelle), tout au moins de sa Theory of vision ; par contre il est douteux qu’il ait connu les œuvres principales de ce dernier ; sa théorie de l’abstraction ne le fait pas supposer.

Nous avons déjà vu que Voltaire considérait Condillac comme le grand philosophe. Selon l’usage de la guerre, les résultats du pacifique penseur tinrent lieu d’armes de combat. On s’empara de sa théorie de la transformation de la sensation, mais on lui laissa son spiritualisme. C’est en accord avec la libre pensée et dans un esprit de sympathie croissante pour elle qu’Helvétius (1715-1771) au contraire composa ses ouvrages (De l’esprit, 1758. — De l’homme, 1774-75). L’ouvrage De l’esprit fut traité comme l’un des livres les plus impies. Il fut condanmé par l’archevêque de Paris, par le Pape et par le Parlement de Paris, et Helvétius, qui avait espéré acquérir par son ouvrage la gloire littéraire, dut pendant un certain temps résider à l’étranger, où il trouva un bon accueil, notamment auprès de Frédéric le Grand. Celui-ci tenait en haute estime le désintéressement de son caractère (26 janvier 1772) et il écrivit après sa mort à d’Alembert : « J’ai appris sa mort avec une peine infinie, son caractère m’a paru admirable. On eût peut-être désiré qu’il eût moins consulté son esprit que son cœur. » Helvétius était un homme libéral, charitable et humain, qui employait les richesses qu’il avait acquises comme fermier général au service de la littérature et