Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’adeptes grâce à sa clarté et à sa simplicité, et dans les établissements publics d’instruction elle supplanta le Cartésianisme. Ce fut la philosophie qui fut enseignée à la fin du siècle, pendant la Révolution et sous l’Empire, jusqu’au jour où des tendances nouvelles se firent jour. Condillac se sert dans le Traité des sensations du mode d’exposition suivant. Il suppose une statue dont les sens s’éveillent l’un après l’autre à l’activité ; il ne se forme chaque fois qu’une seule sensation, et l’auteur examine alors comment la conscience se développe graduellement, comment elle acquiert sous l’influence des sensations ses différentes facultés (attention, comparaison, souvenir, etc.), qui par conséquent ne sont pas à l’origine des aptitudes données par la nature. Ce qui est caractéristique, c’est notamment son essai pour décrire l’attention comme un état purement passif, de même que sa description de la comparaison comme attention simultanée portée sur deux sensations. — La formation graduelle des diverses facultés se produit sous l’action des instincts et des besoins de l’homme. Instinct et besoin naissent de la comparaison des plaisirs et des déplaisirs, qui sont une espèce particulière de sensation. Au lieu de nous douer d’une foule de facultés originales, l’auteur de la nature nous a donné le plaisir et la douleur pour éveiller l’attention et pour mettre ainsi en mouvement l’analyse, d’abord sous ses formes simples, puis sous ses formes supérieures.

Bien que, considérée à un point de vue essentiel, elle soit en opposition directe avec la théorie de Descartes, la théorie de Condillac a néanmoins des points de contact avec elle, non seulement à cause de la grande importance qu’elle attache à la méthode analytique, mais encore à cause de la conception spiritualiste qui en définitive en fait le fond. Car Condillac prétend absolument que la sensation diffère du mouvement, et celui-ci ne peut pour cette raison être que la cause occasionnelle de la formation de la sensation dans une âme différente du corps. Il est vrai que nous ne connaissons pas plus la substance de l’âme que celle du corps (Condillac, comme Locke, fait cette concession). Mais la faculté de comparaison (d’après Condillac la faculté d’avoir deux sensations à la fois) suppose cependant une substance unique comme support des sensations.