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ce système une coutume propre aux anciens Germains : « ce beau système fut inventé dans les forêts ». Il ne le connaissait que sous son complet développement et comme forme extérieure de la vie politique du peuple : l’administration indépendante des petits districts qui sert de base à la constitution parlementaire anglaise, lui échappa. Voltaire s’était emparé des résultats de Locke et de Newton, sans saisir la tendance, l’esprit de recherche, dont ils étaient sortis, de même Montesquieu prit la forme de la constitution anglaise et la systématisa sans emporter le fond solide qui la soutient en réalité. Vu sous cet aspect, il est voisin de la philosophie française du xviiie siècle et trouve place au milieu des philosophes. Même chez lui on sent « l’esprit classique ». Albert Sorel dit justement de lui : « Il ne suit pas les gouvernements dans leur développement historique… il les fait voir arrêtés, complets, définitifs… Point de chronologie ni de perspective ; tout est placé sur un même plan. C’est l’unité de temps, de lieu et d’action portée du théâtre dans la législation. » — Toutefois Montesquieu ne pensait pas que les formes anglaises pussent se transplanter purement et simplement en France. Ses pensées caressaient bien plutôt l’idée de ressusciter la vieille monarchie française avec une classe de fonctionnaires éclairés et surtout avec une classe de juges indépendants. Mais l’esprit de son temps glissa dans son œuvre des tendances contraires à sa propre méthode historique ; et cet esprit avait notamment une telle puissance sur ses lecteurs que son œuvre prit une signification révolutionnaire qui n’était pas du tout dans sa pensée.

2. — Condillac et Helvétius

Le fondement de la théorie de la connaissance et de la psychologie de la philosophie française du XVIIIe siècle fut jeté par Condillac (1715-1780), paisible penseur qui, après s’être consacré dès sa jeunesse à l’état ecclésiastique et après avoir dirigé l’éducation d’un prince italien, passa ses dernières années dans une abbaye dont les revenus lui étaient affectés. Dans son œuvre principale (Traité des sensations, 1754) il développa avec clarté et avec ampleur, et plus déductivement qu’inductivement, cette