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est au fond de son chef-d’œuvre (Esprit des lois, 1748) : les institutions et les lois ne sont pas des productions arbitraires, elles supposent, pour pouvoir subsister et agir, certaines conditions naturelles. Il fait ressortir le rapport des lois avec le climat, les mœurs et la façon de vivre, avec la religion et avec l’ensemble du caractère national. « Les lois, dit-il (Esprit des lois, I, 3), doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre. » L’école historique moderne a en Montesquieu un de ses plus importants devanciers. — Sa tendance consiste néanmoins à acquérir des idées générales par l’étude des faits historiques. Tout en développant sa méthode historique, il peut montrer en plusieurs endroits le sophisme qu’il y a à défendre, comme on l’avait fait, les abus de la tradition, quand il examine par exemple la liberté personnelle et politique. Et son admiration pour l’antiquité et pour l’Angleterre le porte à des peintures idéales qui étaient autant de condamnations de l’état de choses qui existait en France. Dès son retour, il transforma son jardin en parc anglais, et ses idées politiques prirent aussi un coloris anglais. Et il faut bien tenir compte ici que dans sa célèbre description de la constitution anglaise (Esprit des lois, XI, 6) il s’appuie bien plutôt sur l’étude du livre de Locke Of Civil Government que sur des recherches approfondies sur la constitution anglaise dans ses rapports avec l’histoire et avec les mœurs de la nation. Le traité de Locke était une justification théorique de la révolution ; il ne prétendait pas décrire ce qui existait historiquement, mais fonder le droit de développer dans un certain sens la réalité historique. Montesquieu va même plus loin que Locke en développant bien plus nettement qu’il ne le fait la théorie de la tripartition du pouvoir en pouvoir législatif, judiciaire et exécutif. Il ne voyait pas que cette tripartition ne pouvait en fait s’appliquer en quelque sorte qu’à une certaine période de l’histoire d’Angleterre, à l’époque exactement qui suivit immédiatement la révolution. Avant cette période, le roi prenait une plus grande part au pouvoir législatif, et plus tard, ce fut au tour du Parlement de prendre une part de plus en plus grande au pouvoir exécutif86. Et cependant Montesquieu voyait dans