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jour étaient à ses yeux indices d’ambiguïté, de folie, de sottise, de ridicule ou de bassesse. Il les traite par cette alternative, qu’il faut être ou « fou ou fripon » pour y croire. Ce qui engendre la superstition, c’est la démence et la sottise du fanatisme, qui peuvent s’élever jusqu’à « l’insolente imbécillité » mais surviennent les fripons qui utilisent les folies pour leurs fins84. Psychologie élémentaire de la religion qui satisfait à n’en pas douter au principe de simplicité et est à un haut degré « portative » !

Voltaire était convaincu que le moment était venu d’abroger tous les préjugés. Il ne pensait pas que tous les préjugés fussent mauvais : il en est qui sont ratifiés par la raison (art. : « Préjugés », du Dict. phil.), mais il ne doutait pas de la puissance de la raison, telle que celle-ci était alors conçue. Il se réjouissait (dans les Lettres à d’Alembert) que le « siècle de la raison » fût venu. En tous points il voyait la puissance de l’Église sur le déclin, dans la conscience des lettrés comme à l’intérieur de l’État. Sans doute — la propagation des lumières avait ses limites : la « canaille », les « savetiers et les servantes » ne peuvent les recevoir en partage. Mais Voltaire se console : Il ne s’agit pas tant d’empêcher nos laquais d’aller à la messe ou à vêpres ; il s’agit d’arracher les pères de famille à la tyrannie des imposteurs et de propager l’esprit de tolérance85. Il ne se doutait pas que les laquais eux-mêmes se mettraient bientôt à philosopher ; n’avait-il pas lui-même rendu la philosophie « portative » ? Il ne pouvait sortir de ce dualisme honnêtes gens et canaille. Ici encore il s’en tint aux antinomies apparentes, sans pouvoir en découvrir la relation, il est vrai, souvent cachée. On ne doit pas oublier néanmoins que l’abîme qui séparait les diverses couches du peuple était à cette époque justement plus grand et plus largement ouvert que nous ne le voyons maintenant, et que Voltaire voyait la solution dans la sollicitude d’une monarchie éclairée pour le peuple.

Montesquieu (1689-1755) possédait des qualités essentielles qui manquaient à Voltaire ; il avait en particulier la faculté de penser les choses dans leur enchaînement déterminé, sans les en détacher en vue d’une pointe. Il s’élève bien au-dessus du niveau ordinaire de la pensée du XVIIIe siècle grâce à l’idée qui