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et il ne faut pas se flatter de pouvoir les surmonter ; la philosophie ne peut donner une explication de toutes choses. La croyance en une matière éternelle ordonnée par Dieu ne présente pas toutefois de difficultés au point de vue de la morale : nos obligations sont les mêmes, que nous ayions sous les pieds un chaos ordonné ou un chaos créé ! — Voltaire soutient que les solutions spéculatives et dogmatiques ont peu d’importance pour la pratique et pour la morale. C’est peut être-en ce point qu’il a le plus de portée en philosophie et que son scepticisme se montre différent de l’esprit blasé. Le sérieux pratique dont Voltaire pouvait faire preuve au besoin apparaît assez dans le parti qu’il prit comme défenseur des opprimés et des condamnés innocents. Il montra par des actes que s’il renvoyait si souvent par pure ironie ou par malignité aux dogmes de la révélation, il mettait en œuvre toute sa volonté dès qu’il opposait la pratique à la spéculation. En ce qui concerne la croyance en l’immortalité, il semble l’avoir crue nécessaire pour maintenir la morale dans l’humanité. (Le bien commun de tous les hommes demande qu’on croye l’âme immortelle : Lettres sur les Anglais, XIII.) Tout en s’appuyant ici sur « le bien commun »83) il cherche à donner un fondement à la croyance en Dieu en partant (comme Newton) de la finalité de la nature. Il soutient l’idée des causes finales, seulement il faut envisager les effets qui en tout temps et partout sont invariablement les mêmes, et non les effets spéciaux et dérivés. Voltaire souligne fortement et avec un malin plaisir les mauvais côtés du monde, et il combat l’optimisme qui, fixant son attention sur les grandes lois qui règnent dans le Tout, néglige et méprise la souffrance et le malheur qui peuvent résulter pour les êtres individuels de cet ordre universel des choses. La destruction de Lisbonne par un tremblement de terre lui fournit comme l’on sait l’occasion particulière de railler le meilleur des mondes possibles. Il touche en plein cœur le système optimiste de Leibniz lorsqu’il met dans la bouche de Candide (fouetté dans un autodafé qui a lieu en manière de fête expiatoire), après la ruine de Lisbonne, les paroles suivantes : Si c’est là le meilleur des mondes, comment sont donc faits les autres ? Voltaire était indigné que Leibniz et Shaftesbury et, après eux