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tard) eut posé cela en théorie, Voltaire se rangea à ce qu’avait dit « le grand philosophe » (art. : « Sensation » du Dict. phil.). Or si tout provient des sens, que pouvons-nous savoir de l’éternel et de l’infini, et de la nature de l’âme ? Presque rien. Caractéristiques de Voltaire — à l’encontre de Locke et de Condillac — sont les résultats sceptiques qu’il fait dériver de ce principe, que tout dans notre conscience provient de la sensation. Officiellement il nous assure, il est vrai, avec une ironie sur laquelle on ne peut se méprendre, que la révélation nous a appris que l’âme est une substance spirituelle. Mais sa conviction sur « les bornes de l’esprit humain » (voir l’art. : « Bornes de l’esprit humain » dans le Dict. phil.) ne laisse pas de s’exprimer dans les termes par lesquels il finit l’article de l’âme dans son Dictionnaire philosophique : « Ô Homme ! Dieu t’a donné l’entendement pour te bien conduire, et non pour pénétrer dans l’essence des choses qu’il a créées ! »

Tout vient de la sensation, cela ne fait pas de doute pour Voltaire. Mais la sensation ? Locke avait dit, à la grande joie de Voltaire, que rien n’empêche de croire que Dieu ait doué la matière de la faculté de sentir. Voltaire ne s’arrêtait pas à la remarque de Locke, que cette faculté ne peut être conférée qu’au moyen d’un acte miraculeux ; il s’empare de l’observation et s’en sert continuellement comme d’une arme contre les spiritualistes. Toutefois il manifeste en même temps dans son système la tendance à ramener tout à ces deux principes : Dieu et la matière. Il n’avait que faire des esprits comme moyens termes. Mais qu’est-ce donc que la matière ? À vrai dire, on ne le sait pas, pas plus qu’on ne sait ce qu’est l’âme. Néanmoins Voltaire ne doute pas de son existence, il lui attribue même une existence éternelle : « Nul axiome (Art. : « Matière » du Dict. phil.) n’a jamais été plus universellement reçu que celui-ci : « Rien ne se fait de rien ». En effet le contraire est incompréhensible. » Et il cherche à montrer que la religion ne souffre pas de l’hypothèse qu’il y a une matière éternelle organisée par la divinité en vue d’une fin. « Nous sommes assez heureux pour savoir aujourd’hui par la foi que Dieu tira la matière du néant ; mais », etc. À la vérité l’hypothèse d’une matière éternelle présente aussi diverses difficultés