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plus vide et bien plus corrompu que sur le sol anglais. La société anglaise s’était assimilé les énergies nouvelles et elle pouvait les employer à produire un développement continu. En France l’ancien régime était poussé avec une telle logique, qu’il devait ou bien anéantir toute critique, ou bien être anéanti par elle.

1. — Voltaire et Montesquieu

Dans ses Lettres sur les Anglais (1783) Voltaire (né en 1694, mort en 1778) exposait à ses compatriotes une nouvelle science de la nature, une nouvelle philosophie et une organisation nouvelle de la société. Il opposait Locke et Newton à Descartes, les Sociniens, les Quakers et autres dissidents aux catholiques, la constitution parlementaire à l’autocratie. Son opinion était assez claire, là même où il n’indiquait pas de comparaison formelle et où il se confinait dans la description pure ; du reste on ne s’y méprit pas : le livre fut brûlé. Beaucoup de Français regardaient d’ailleurs Voltaire (ainsi que plus tard Montesquieu) comme un mauvais patriote à cause de son admiration pour le caractère anglais. Mais ses lettres marquent une révolution dans l’histoire de la civilisation : l’inoculation au continent de pensées anglaises. Plus tard, Voltaire donna un bon exposé populaire des théories physiques de Newton (Éléments de la philosophie de Newton, mis à la portée de tout le monde, 1738), ouvrage qui contribua beaucoup à propager et à faire triompher la nouvelle physique. L’importance de Voltaire n’est pas d’être un penseur indépendant, mais un grand abréviateur et un grand vulgarisateur. Le titre d’un de ses ouvrages les plus considérables : Dictionnaire philosophique portatif (1764) est caractéristique à ce point de vue. Les idées sont prêtes ; il ne s’agit plus que de les formuler de façon à les rendre facilement transportables. Il vante Locke de nous avoir fourni l’histoire de l’âme, tandis qu’auparavant tant de « raisonneurs » nous en avaient donné un roman, et de faire dériver de la sensation tout ce qui est dans l’entendement. Mais Voltaire serait assez enclin à aller plus loin, et à voir dans tout souvenir et dans toute pensée une simple continuation et un simple changement de la sensation ; lorsque Condillac (dont nous parlerons plus