Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui s’opposa à la fois à la sagesse critique et à l’ancien ordre des choses. Il montra que le sentiment vivant de l’homme va plus loin qu’aucun rapport d’autorité ou qu’aucune réflexion critique, — que son adhésion ne peut être rendue superflue par aucune tradition et par aucune pensée, et qu’il est le fondement de toute valeur de la vie. Jamais l’importance du sentiment n’avait été présentée avec autant de simplicité et de pureté, bien que des tendances mystiques aient souvent pris fait et cause pour lui. Moins par ses idées et ses théories, que par sa personnalité (malgré toutes ses faiblesses), Rousseau marque un grand tournant en matière de philosophie : avec lui le problème de l’estimation des valeurs fut posé d’une façon définitive, tandis que jusqu’alors c’étaient le problème de l’existence et le problème de la connaissance qui avaient presque tout dominé. Et en se tournant à la fois contre l’ancien régime et contre la critique nouvelle, il montre qu’il y a quelque chose dont ces deux adversaires ne veulent pas reconnaître les droits. Parmi les philosophes français du xviiie siècle, c’est celui qui annonce le plus l’avenir et qui en porte le plus les germes. C’est en outre le penseur qui alors s’intéresse le plus à l’enfant.

Si les conséquences radicales des nouveaux principes — tant sous leur forme négative que sous leur forme positive — ont été tirées en France et non en Angleterre, où les principes décisifs, avaient surgi, c’est qu’il y a à cela une bonne raison historique. Taine a montré brillamment dans l’Ancien régime que la langue française et l’esprit français s’étaient tellement polis à la Cour, dans les salons et par l’art classique, qu’ils pouvaient être les organes d’idées simples et claires, les organes d’une pensée qui veut discuter les grands problèmes avec le moins de préparation possible et qui n’a pas l’intention d’agrandir son domaine, mais seulement d’élaborer ce qu’elle a acquis. L’esprit classique et la langue polie ne seraient cependant pas une explication suffisante. Ils expliquent la forme, mais non le fond et la tendance. La véritable cause, pour laquelle les conséquences pratiques de la philosophie anglaise ont été tirées en France, et non en Angleterre, doit être cherchée dans ce fait, que l’ancien régime offrait avec le nouvel état de choses un contraste autrement brutal sur le sol français, qu’en Angleterre ; en outre il était bien