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tique ? Certes, on n’avait d’autre droit que celui que donne le puissant instinct individuel de la vie. Des penseurs solitaires n’auraient guère pu terminer la tâche, leur temps était passé pour le moment. Quelques années avant que Hume partît pour la France, afin d’être plus seul pour composer son principal ouvrage, deux jeunes Français étaient venus voir l’Angleterre ; mais ce n’était pas pour mûrir leurs pensées dans la solitude, ils voulaient au contraire ouvrir leur esprit et leur âme à la vie du génie anglais, et s’assimiler l’intense mouvement qui s’était développé sur le sol vigoureux de l’Angleterre. Voltaire et Montesquieu rapportèrent d’Angleterre, comme d’un monde complètement étranger, des idées toutes nouvelles sur la philosophie, la religion, l’Église et l’État dans leur pays. C’était une connaissance faite en voyageant avec les idées et le milieu anglais, et leur but était non pas de garder pour eux ce qu’ils avaient appris, pour le développer par la suite, mais de le répandre dans le monde sous la forme la plus libre, la plus facile et la plus simple possible, pour réveiller, stimuler et transformer. Et à cet effet on n’usa pas seulement de la méthode et des résultats de l’investigation anglaise : tout le développement de la pensée, depuis la Renaissance et les grands systèmes jusqu’à la philosophie empirique, fournit des moyens de combat. Derrière la critique violente, radicale appliquée dès lors à tout ce qui était tradition, se cachait un dogmatisme qui croyait essentiellement avoir terminé tout ce qui concernait la conception du monde et de la vie. Il fallait avoir soi-même une assise solide pour pouvoir renverser le présent. Quand d’un seul coup, dans un moment, on veut faire le compte de tout ce qu’a produit l’histoire dans le domaine intellectuel et social, il faut avoir une grande confiance dans son propre point de vue. Mais voilà ce qui arrive toujours en histoire : le jour du jugement, on n’a pas le temps d’attendre que toutes les prémisses soit ordonnées. Le christianisme et l’Église n’attendirent pas pour détruire la civilisation antique, de pouvoir complètement fonder leur supériorité. La civilisation antique fut détruite. Les courants de l’esprit ne tiennent compte de rien. Quand un besoin intellectuel a été longtemps refoulé, il vient un moment où il rompt les digues, sans égard pour toutes