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suffisent plus, car personne ne saurait connaître la vraie manière d’adorer Dieu sans une révélation divine. Mais pour la connaissance du droit naturel proprement dit, la révélation n’est pas nécessaire. Comme Melanchton, Hemmingsen considère les dix commandements comme l’abrégé du droit naturel (epitome legis nature) ; mais il commence par développer la loi naturelle avant d’en examiner la concordance avec les dix commandements. Voilà donc le progrès de fait, que l’éthique et la doctrine du droit (le « droit naturel » les comprend toutes deux), deviennent indépendantes de la théologie et ne s’appuient plus sur une autorité surnaturelle.

Mais en même temps s’interrompt le mouvement dans le luthéranisme. Certains savants juristes, tels que Oldendorp et Winkler, maintinrent bien le progrès de ces idées, mais les conditions internes et externes nécessaires pour continuer l’affranchissement de l’éthique et de la jurisprudence ne se trouvaient que dans les pays réformés. Chez Zwingle et chez Calvin, on ne constate pas cette distinction scrupuleuse entre la liberté de la personnalité au dedans, et les bornes qu’elle rencontre partout au dehors. Ils rejettent le principe d’autorité dans une bien plus large mesure que le luthéranisme. L’homme affranchi par la grâce sent le droit qu’il a de disposer de lui-même en toutes choses, spirituelles ou temporelles. Zwingle, cette nature claire et vigoureuse, en qui la piété profonde du réformateur s’alliait à la logique du penseur, à l’amour de l’humaniste pour l’antiquité et au besoin de liberté politique du républicain, préconisa l’autonomie dans le domaine civil aussi bien que dans le domaine ecclésiastique. Calvin, quoique moins bien doué et d’esprit plus étroit, continua son œuvre. Leurs idées furent le point de départ des grandes luttes qui se déroulèrent aux xvie et xviie siècles en France, aux Pays-Bas et en Angleterre, et d’où est sortie la liberté civile, religieuse et scientifique des temps modernes. C’est à ces luttes que l’État moderne et la science moderne doivent d’exister. Ce que l’humanisme italien n’avait pu réaliser, à cause de sa mollesse et de la tournure aristocratique de son esprit, ce que le luthéranisme n’avait pu atteindre, par suite de son timide désir de profondeur et d’obéissance, les disciples du réformateur suisse l’accompli-