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une tendance involontaire que l’homme le plus égoïste lui-même ne peut supprimer complètement. Cette sympathie instinctive prend un caractère plus défini par ce fait, qu’il se forme des idées touchant les causes et les effets des dispositions et des actions d’autrui. Nous approuvons les sentiments d’autrui quand nous avons conscience que, dans la même situation, nous aurions des sentiments de la même nature et de la même force. Le sentiment doit avoir un certain rapport avec la cause qui l’a produit, pour que nous puissions sympathiser avec lui. Mais si le sentiment d’un autre devient le motif d’actions entraînant des effets pour une tierce personne, nous nous mettons à la place de ce tiers, et dès lors nous ne pouvons sympathiser avec une action, que si son effet a un rapport convenable avec la cause primitive du motif. Dans la bienveillance et dans l’amour du prochain nous sympathisons aussi bien avec celui qui donne qu’avec celui qui reçoit. Dans la reconnaissance et dans la vengeance, la sympathie cesse pour celui qui agit, si l’effet est disproportionné à la cause primitive. À l’encontre de Hume, Smith prétend que la considération de l’utilité des qualités du caractère qui sont approuvées n’est pas la raison première de l’approbation. C’est un moment qui vient par la suite s’ajouter comme appui, mais c’est une « after thought », une pensée venant après le jugement involontaire, lequel se forme quand on se met à la place de celui qui agit et de celui qui subit l’influence.

Nos premiers jugements moraux portent sur d’autres hommes dont nous observons la conduite en spectateurs impartiaux. Mais nous ne tardons pas à apprendre que les autres considèrent et jugent de même notre conduite, et nous apprenons alors à la juger nous-mêmes, provisoirement au point de vue d’autrui. Ce n’est qu’en vivant en commun avec autrui que nous apprenons de cette façon à tenir toujours un miroir à nos propres actions. Nous nous partageons en deux personnes : un acteur et un spectateur. Et ce spectateur intérieur ne reste pas toujours simple représentant des censeurs extérieurs : nous lui attribuons naturellement une plus grande connaissance de nous-mêmes que ne peuvent en avoir les autres hommes ; nous le créons involontairement juge intérieur et nous appelons à sa