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philosophes moralistes, qui prétendaient faire dériver la morale de la seule raison et regardaient les principes moraux comme des vérités éternelles, point de vue qui fut défendu même après Locke par Clarke et Price (de même que Cudworth l’avait défendu contre Hobbes).

La question qui suit, c’est alors de savoir de quel sentiment provient la morale. Dans toutes les actions et dans toutes les qualités soumises à l’approbation morale, on retrouve ce trait commun, qu’elles profitent directement ou indirectement à la personne même qui agit ou à autrui. Ce trait nous impose — indépendamment de toute éducation et de toute autorité — l’approbation, l’estime, peut-être l’admiration. Et comme nous approuvons des actions qui ne nous profitent pas personnellement, le sentiment qui est au fond de l’approbation ne peut pas être de nature égoïste. Quiconque porte des jugements moraux, abandonne son point de vue privé et se place à un point de vue commun à lui et à autrui. Si nous voulions apprécier simplement d’après nos intérêts égoïstes, nous n’obtiendrions pas d’appréciation générale. Alors même que le fait de voir dans la justice une vertu serait dû à l’origine au besoin qu’éprouve tout individu de jouir de la paix et de la sécurité, l’intérêt pour l’ordre légal collectif ne pourrait cependant s’expliquer que par la sympathie pour ce qui d’une manière générale soutient la vie humaine. Le motif qui, dès le début, fait de quelque chose une vertu n’a pas besoin d’être ce qui plus tard peut se trouver au fond de l’appréciation. Le fondement proprement dit de la morale, c’est donc la sympathie ou le sentiment de camaraderie (fellow feeling). L’appréciation même des vertus qui (telle que l’habileté dans ses propres affaires) ne procurent un avantage qu’à la personne même qui agit, peut le mieux se comprendre par la sympathie. — Pour la sympathie, Hume déclare, d’accord avec le « principe fondamental » de sa théorie de la connaissance, qu’elle tient à ce que le spectacle ou la vive idée des manifestations ou des causes de la joie ou de la douleur d’autrui provoque en nous un vif sentiment de joie ou de douleur, c’est-à-dire à ce qu’une simple idée (idea) passe à l’état d’impression (impression) en vertu de son association avec une vive sensation.