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volonté. Et de même que la volonté ne consiste que dans le sentiment, et non dans la raison seule, de même le sentiment seul est capable d’entraver un sentiment et de prévenir une action (II, 3, 3). Ici encore il se trouve d’accord avec Spinoza dans une proposition psychologique souvent négligée, qui ne laisse pas de posséder une grande portée. Le sentiment est un état primordial et immédiat, mais la raison se manifeste par la réflexion et la comparaison, et la raison ne prend pour cela de l’influence sur le sentiment qu’autant qu’elle peut éprouver les idées liées au sentiment. — C’est une imperfection de la psychologie de Hume de ne pas mettre en relief l’enchaînement du sentiment avec les instincts originaux81. Shaftesbury voyait ici plus clair que lui. Hume est porté à considérer les instincts comme étant exclusivement dérivés (dans sa théorie de la connaissance, il explique par exemple l’instinct de causalité par l’habitude). Sa conception est ici bornée par son empirisme. Un trait analogue se montre dans sa façon d’écrire l’histoire ; on lui a en effet reproché de ne pas tenir compte des particularités de race des peuples qu’elle décrit. —

L’examen psychologique des rapports du sentiment avec la raison prend une importance directe pour l’Éthique de Hume, car il renferme la réponse à la question de savoir si la morale se fonde sur la raison ou sur le sentiment. La raison ne fait que constater des rapports ou des faits. Or il y jugement moral quand un sentiment est excité par l’idée d’une action, lorsque tous les rapports et faits concernant cette action ont été dégagés. Si nous disons d’une chose qu’elle est bonne ou mauvaise, c’est que notre sentiment est mis en mouvement. Voilà pourquoi les qualités morales (bon et mauvais) ne sont valables que pour des êtres sentants — de même que les qualités sensibles ne sont valables que pour des êtres ayant des perceptions sensibles82. Mais cela n’enlève pas aux qualités leur importance : dans la pratique nous appliquons les appréciations morales avec la même sûreté que les qualités sensibles, bien que ni les unes ni les autres n’expriment des rapports objectifs et éternels (Voir outre le Treatise, III, 1,1 surtout le Traité sur The Sceptic dans les Essays). Hume (qui s’accorde encore en ce point avec Spinoza) est ici en opposition directe avec les