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s’ouvrit à lui. Une attaque d’hypochondrie (décrite par lui-même dans une lettre reproduite dans l’ouvrage de Burton Life and correspondance of David Hume. Edinburgh 1846, I, p. 30 et suiv.) interrompit quelque temps ses méditations. Il est à présumer qu’il sentit aussitôt l’étrange antinomie entre le monde de la réflexion et le monde de la vie pratique journalière, qu’il décrivit plus tard dans son œuvre principale. Il résolut d’abandonner les études et d’être négociant. La vie pratique ne put toutefois le captiver. Il élut domicile en France dans la solitude pour écrire son livre capital : « Traité de la nature humaine, essai pour appliquer la méthode empirique au domaine spirituel. » (Treatise on Human Nature, etc.) Il parut à Londres de 1739 à 1740, et se compose de trois parties, dont la première traite de la connaissance, la deuxième des sentiments et la troisième du fondement de la morale. Il fait progresser considérablement l’examen de ces diverses questions, et de nos jours il occupe encore le premier rang parmi les ouvrages classiques de philosophie. Mais en attendant il n’avait pas de succès. « Il échappa, dit Hume, mort-né à la presse et n’eut même pas l’honneur d’exciter les murmures des fanatiques. » L’ambition littéraire de Hume, qui l’induisit à déclarer mort-née l’excellente production de son esprit, eut un effet funeste. Il chercha à acquérir la gloire que celle-ci ne lui avait pas rapportée au moyen d’une série de petits essais (Essays) soit philosophiques, soit économiques et politiques ; pendant un certain temps il abandonna complètement la philosophie pour l’histoire ; il alla même jusqu’à renier absolument le travail si considérable de sa jeunesse, en déclarant — pour ne pas être décrié par les théologiens qui le critiquaient (et par conséquent ils s’étaient mis à « murmurer) » — qu’il pouvait seulement reconnaître l’exposé de sa doctrine philosophique qu’il donnait dans les Essais. Beaucoup de ces petits ouvrages sont excellents, ils ne pouvaient néanmoins prendre dans la discussion philosophique la grande importance qu’aurait pu acquérir son œuvre principale, s’il eût employé la gloire littéraire qu’il obtint par la suite à insuffler la vie à l’enfant « mort-né », et s’il ne l’eût pas désavoué pour ne pas s’attirer de désagréments.