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fait d’abord créer la matière par Dieu, puis celle-ci agit sur nous. Pourquoi ce détour ? Pourquoi ne pas faire créer directement nos sensations par Dieu ? Plus nous pensons clairement, plus nous nous trouverons en rapports immédiats avec Dieu. Il n’y a pas de causes secondes. Berkeley dit : nous vivons et nous existons en Dieu, et il croit pouvoir le faire avec plus de raison que Spinoza, — Berkeley s’adonna de plus en plus à cette conception mystico-panthéiste pendant ses dernières années, ainsi qu’on le voit à la Siris ; mais nous ne pouvons poursuivre davantage la forme qu’il donna à sa pensée en ce sens. Nous nous bornons à attirer l’attention sur un point où Berkeley et Leibniz se ressemblent en passant de leur philosophie expérimentale à leur philosophie spéculative : ils usent tous deux du principe d’analogie, qui est le principe de tout idéalisme métaphysique. —

Le principal mérite de Berkeley, c’est d’avoir persévéré avec une énergie que ne purent affaiblir les résultats paradoxaux auxquels sa pensée le fit aboutir, dans cette question : comment savons-nous que les choses sont quelque chose de plus que nos sensations et que nos idées ? De quel droit passons-nous de la conscience, la seule donnée immédiate pour nous, aux choses, qui ne sont jamais données immédiatement ? — En ce qui concerne la réponse que fait Berkeley à cette question, on voit à l’exposé ci-dessus qu’il ne se contente nullement de faire de la réalité une succession de sensations. Premièrement, il distingue entre les sensations et l’esprit : l’essence des premières consiste seulement à être perçues (esse = percipi) ; l’essence du second consiste dans la perception (esse = percipere), c’est-à-dire dans l’action. Deuxièmement, il reconnaît le principe de causalité et l’emploie pour résoudre la question soulevée. Mais alors que la conception ordinaire (la métaphysique populaire) part de ce fait, que la cause de nos sensations doit leur être semblable, Berkeley part de ce fait, que la cause de nos états passifs doit être pensée par analogie avec l’activité qui est en nous. — C’est un idéaliste, non un subjectiviste ; mais son idéalisme prend aussitôt une forme théologique. Ses idées théologiques sont prêtes à bondir pendant qu’il philosophe, et dès qu’il a exposé