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une hypothèse impossible à démontrer et invraisemblable. Les objets de la connaissance n’existent conformément à la nature de la chose qu’en tant qu’ils sont connus ; leur essence consiste en ce qu’ils sont perçus (their esse is percipi). Si l’on examine de plus près la raison de cette opinion, on y retrouve la vieille théorie de l’abstraction. C’est bien la plus violente de toutes les abstractions de se représenter l’objet sans ce qui en fait pour nous un objet. Nous devrions ainsi faire abstraction de toutes nos sensations ! On dit, il est vrai, que nous devrions faire abstraction simplement des qualités secondes (couleur, goût, odeur, etc.), mais non des qualités primaires (étendue, densité). Par matière, on entend quelque chose qui ne possède que les qualités primaires, qui a une étendue et une forme, et qui peut se mouvoir. Toutefois on oublie que les qualités primaires ne peuvent pas être perçues sans les secondaires, et que les premières comme les secondes n’existent pour nous qu’au moyen des sensations. Si l’on voulait dire par exemple que l’étendue peut exister en dehors de notre conscience, il faudrait se demander : est-ce l’étendue telle que la vue nous la montre, ou telle que le toucher nous la montre ? Peut-être telle que ces deux sens ensemble nous la montrent — mais nous avons déjà montré que l’idée d’étendue ne se forme que par association. Il ne peut y avoir de chose étendue et mobile qui ne soit grande ou petite, éloignée ou proche, qui ne se meuve vite ou lentement ! Alors même qu’il y aurait en dehors de la conscience des substances solides, figurées et mobiles, comment le saurions-nous ? Comment peut-on s’autoriser des sens pour certifier quelque chose qui n’est pas du tout perçu par les sens ?

Mais la différence n’est-elle pas du même coup supprimée entre le réel et l’imaginaire ? Berkeley le nie résolument. La nature réelle, dit-il, je ne la nie pas ; je nie seulement la matière abstraite. Tout ce qui est vu, entendu, senti, et, d’une façon générale, tout ce qui est perçu par les sens, je le crois positif, mais en revanche j’en excepte la matière, cette chose inconnue (somewhat-if indeed it may be termed somewhat) sans qualités sensibles et inaccessible à toute perception sensible et à tout entendement. La différence entre la réalité et l’illusion