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de voir, par opposition à la manière de voir sensible ou vulgaire, qui ne parvient pas à dépasser le relatif. Il fait une réalité vraie d’une abstraction mathématique. Dans la pratique (in rebus humanis), nous pouvons, à la vérité, nous en tenir à l’espace sensible, et oublier que la sensibilité n’est pas capable de nous montrer des lieux absolus : mais comme penseurs (in rebus philosophicis) nous devons faire abstraction des sens !

On pourrait sans doute montrer quelque hésitation dans les déclarations faites sur ce point par Newton79 mais l’idée de l’espace absolu, idéal, conçu comme réalité, se rattache au noyau même de la conception du monde de Newton. L’espace n’est pas pour lui une forme vide, c’est l’organe au moyen duquel Dieu manifeste son omniprésence dans le monde et perçoit immédiatement les états des choses. C’est un « sensorium immense et uniforme ». — L’étendue n’est donc pas pour Newton (comme pour Henry More) la marque caractéristique des choses matérielles. Est matériel seulement ce qui a, outre l’étendue, la solidité. Dans sa conception de l’espace considérée au point de vue de la philosophie de la nature, Newton se rapproche d’après ses propres déclarations de Gassendi, tandis que, en ce qui concerne le point de vue de la philosophie de la religion, il subit l’influence d’Henry More.

Pour ce qui est de l’existence de Dieu, Newton la prouve par la finalité et l’harmonie de l’ordre du monde ; il abordait donc un thème sur lequel on broda des variations à l’infini pendant tout le xviiie siècle. — Comment se fait-il que la nature ne fasse rien en vain et prenne toujours les voies les plus simples ? D’où viennent tout cet ordre et cette beauté que nous voyons dans le monde ? Le mouvement des planètes autour du soleil dans des orbites concentriques à celle du soleil et situées presque dans le même plan, — en un mot toute l’admirable ordonnance (elegantissima compages) de notre système solaire ne peut s’expliquer d’après des lois mécaniques et ne peut s’être développée de façon naturelle. Ce n’est que de façon surnaturelle que les masses, les distances, les vitesses et les densités des différents corps célestes peuvent être convenablement organisées, et une force surnaturelle peut seule expliquer que les planètes tournent en cercle, au lieu de suivre la pesanteur et de tomber