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critique du christianisme primitif, Luther saisit cependant un point important des idées de la communion chrétienne ancienne, en prenant pour base la théorie de saint Paul de la justification par la foi. En s’attachant personnellement au Christ, l’homme s’élève au-dessus de toutes les circonstances extérieures. Il développa cette pensée en particulier dans son ouvrage De la liberté du chrétien (1520). De cette façon, la personnalité s’affranchissait de toute autorité extérieure dans ses rapports les plus cachés, dont dépendait sa destinée éternelle. Il était tout naturel d’effectuer un affranchissement semblable dans d’autres domaines. Il est du reste incontestable qu’à plusieurs points de vue la Réforme de Luther eut une action stimulante. Dans sa lutte contre l’Église, Luther devait nécessairement se faire l’interprète de la nature humaine. Vis-à-vis de l’Église, il affirme l’autonomie de la famille et de l’État et, établissant un rapport naturel avec sa théorie de la justification par la foi seule, il insiste en particulier sur l’importance des faits et gestes de la vie humaine ordinaire, à l’encontre du catholicisme qui la méprisait en comparaison avec l’ascétisme. Luther ne put cependant fonder un rapport positif avec les intérêts humains naturels. Vis-à-vis de la science, il observa une attitude méfiante (notamment dans ses jeunes années) en vertu de son principe de la foi ; et dans la vie politique, il demeura fidèle au principe de l’obéissance passive. Dans son ouvrage De la liberté du chrétien il divisait ses considérations en deux parties : il commence par montrer la liberté intérieure que possède le chrétien, puis il assigne le développement complet de cette liberté à l’au-delà et prétend que le chrétien est, pour ce qui est de son individualité extérieure, exactement : « un valet corvéable et sujet de tout le monde ». Ce dualisme de l’intérieur et de l’extérieur fut le motif pour lequel le luthéranisme ne prit pas, dans le développement intellectuel et politique, l’importance qu’il aurait pu acquérir, en raison de la grande et vigoureuse personnalité de son fondateur. Le religieux et l’humain n’étaient posés côte à côte que comme un dimanche et un jour ouvrable, sans lien intime essentiel. Et ainsi en fût-il notamment du rapport de la foi avec la science. Luther s’autorisa à Worms de la Bible et de raisons claires et évidentes. Les