Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins attrayants ? — Il faut choisir entre la nature et la civilisation, entre la morale et le progrès social. La boue des rues de Londres ne peut disparaître sans que l’animation gigantesque ne disparaisse elle aussi. Maux et biens ont été inséparablement liés l’un à l’autre au cours de l’évolution.

Mandeville rejette donc l’harmonie établie par Shaftesbury et par Leibniz. Il est le défenseur le plus vigoureux du pessimisme au xviiie siècle et il a rendu un réel service à la solution du problème de la civilisation. Pour transiger avec les théologiens, il déclare que, le créateur de la nature nous étant incompréhensible, nous n’avons pas le droit de le traiter de cruel. Et qui plus est, il se figure travailler dans l’intérêt de la croyance à la révélation et de la morale chrétienne en exposant la vanité du monde et l’impuissance de la raison humaine, ainsi que celle de la vertu païenne, à l’encontre de Shaftesbury, qui favorise le déisme et qui a élevé la vertu païenne au-dessus de la vertu chrétienne (Fable of the bees, 6 th, ed., II, p. 431 et suiv). Ce finale théologique semble avoir un lien assez lâche avec le reste, mais il fit son effet. Le clergé prit parti beaucoup plus nettement contre Shaftesbury que contre Mandeville.

b) Libres penseurs.

Depuis l’aurore de la Renaissance, la pensée avait essayé ses forces sur les grands problèmes de la vie sous une quantité de formes très différentes et dans une quantité de sens différents. Il n’était donc pas étonnant que même dans un monde de plus en plus étendu la conviction pût se former que la conception de la vie et la conduite de la vie n’avaient besoin de l’appui d’aucune autorité, et que la connaissance des lois de la nature et de la vie humaine, que l’homme peut acquérir par les seules facultés de son esprit, est une étoile directrice suffisante. Des hommes vinrent de bonne heure, en Italie, dès le xve siècle, dans les pays du Nord durant les siècles suivants, à qui la religion naturelle suffisait, ou qui même n’en avaient pas besoin sous sa forme ordinaire. La dénomination de Déisme s’appliqua communément à partir du xvie siècle à ceux qui ne croyaient pas à la révélation au sens ecclésiastique du mot ; plus tard pour caractériser cette tendance, on mit particulièrement en